Au rayon des platitudes « inspirantes » à afficher au-dessus de la machine à café, celle-ci fait toujours son petit effet : « Il vaut mieux penser le changement que changer le pansement ». Certes, rétorquent les esprits forts, mais quand on change le pansement on en voit tout de suite le résultat, alors que penser le changement ça peut occuper pas mal d’années…
Ce débat stérile recoupe très précisément l’alternative qui occupe les chefs à plumes de la « transition écologique » : en matière de réponse au changement climatique, faut-il privilégier l’atténuation (c’est-à-dire la décarbonation vigoureuse pour contenir le dérèglement), ou opter pour l’adaptation (c’est-à-dire se préparer à vivre avec les effets d’un réchauffement inéluctable) ?
Jusqu’à l’an dernier, la doctrine française ne connaissait que l’atténuation. Toute référence à l’adaptation était vécue comme une capitulation, un défaitisme intolérable passible du peloton d’exécution. On a frénétiquement « pensé le changement », abrités derrière les « objectifs » et les « engagements » de l’Accord de Paris. L’intérêt des « engagements » est de n’engager que celles et ceux qui veulent bien y croire (ou faire semblant). L’intérêt des « objectifs » est de n’être assignés qu’aux successeurs de ceux qui les déterminent, et dont le mandat est largement échu lorsqu’on s’aperçoit -comme c’est bête !- qu’on ne les a pas atteints et qu’il faut en fixer de nouveaux. Et pendant que chaque groupe d’intérêt échafaude les moyens de se soustraire aux engagements et d’échapper aux objectifs, on s’abstient de prendre les mesures douloureuses nécessaires pour espérer survivre dans une atmosphère réchauffée de 4 degrés.
Depuis un an, changement total de discours : il faut sortir du « déni » et adapter notre société, nos territoires, notre économie, à la nouvelle réalité climatique. Désormais, on s’occupe toutes affaires cessantes du pansement ! Avec cet argument cocasse : l’atténuation est un problème mondial (donc on n’y peut pas grand-chose), l’adaptation un problème national (on va donc s’en occuper). Résultat : tous les objectifs climatiques chiffrés ont disparu du projet de loi pour la souveraineté énergétique ; le détricotage du Code de l’environnement s’accélère ; les grands projets d’aménagement inutiles et fortement émetteurs de CO2 et destructeurs de biodiversité sont imposés par la violence…
Un pouvoir politique qui saurait conjuguer atténuation et adaptation, concilier le court et le moyen termes, bref penser le changement tout en changeant le pansement, ce serait vraiment trop demander ?