En Auvergne, plusieurs éleveurs se plaignent des vautours qui viendraient s’en prendre à leurs bêtes. Les scientifiques sont pourtant convaincus qu’il est « impossible » que les vautours s’attaquent à des animaux vivants.
« J’ai passé trois nuits sans dormir ! » : comme d’autres éleveurs auvergnats, Stéphane Grouffaud ne décolère pas contre les vautours qu’il accuse d’attaquer ses troupeaux. Un comportement que scientifiques et défenseurs de l’environnement jugent « impossible » de la part de ces oiseaux nécrophages.
« On n’a jamais vu ça ici« , assure l’agriculteur de 50 ans qui élève des vaches laitières et allaitantes avec son fils, dans son exploitation située à Valbeleix (Puy-de-Dôme), dans le massif du Sancy. Entre le 31 août et le 3 septembre, il a perdu trois veaux, dont l’un avait les reins brisés et un autre la patte cassée. « La veille, ils allaient bien et le lendemain on les retrouvait morts avec une horde de vautours autour, parfois jusqu’à 150« , raconte-t-il en balayant du regard l’estive située à 1.150 mètres d’altitude, où ses bêtes pâturent de mai à octobre.
« Le premier veau, c’était le plus beau. On s’était dit qu’on le garderait pour en faire un taureau…« , souffle son épouse Fernande. Une vache adulte s’est également fracturé la patte, et une seconde, souffrant de la perte de son veau, a développé une mammite, infection mammaire redoutée par les éleveurs de vaches allaitantes. Pour M. Griffaud, aucun doute : les vautours, qui migrent l’été depuis les Cévennes en passant par la Haute-Loire voisine, sont responsables du massacre : »ils volent à ras des têtes et affolent les bêtes. Ils les poussent jusqu’à épuisement et elles finissent par se blesser« .
D’autres éleveurs leur reprochent de s’installer sur les abreuvoirs et de les souiller, empêchant les animaux de boire. Des syndicats d’agriculteurs ont tiré la sonnette d’alarme fin juin en Haute-Loire, déplorant plusieurs attaques d’ovins et de bovins. Dans le Puy-de-Dôme, une quarantaine de vaches « affaiblies par un vêlage (naissance du veau) ou un traumatisme » ont été victimes de ces rapaces, selon la présidente départementale de la FNSEA Sabine Tholoniat, qui réclame « des tirs de régulation » face à ce « comportement déviant« , pour limiter le nombre d’oiseaux.
Proche de l’extinction dans les années 60, le vautour fauve, dont l’envergure atteint plus de 2 mètres, a été réintroduit en France dans les années 80. Le nombre de couples est aujourd’hui estimé à 2.500 dans le pays, selon Bruno Veillet, responsable de la Ligue pour la protection des oiseaux des Grands Causses de Lozère et de l’Aveyron, l’une des régions où ils nichent, avec les Pyrénées ou le Vercors. « Plusieurs éleveurs ont relaté les mêmes faits dans l’Aubrac, mais on ignore les raisons de ce phénomène« , explique-t-il, jugeant « peu probable » que les vautours effraient les troupeaux.
L’été, ce « formidable voilier » capable de parcourir des centaines de kilomètres pour se nourrir, quitte sa zone de nidification et vient jusqu’en Auvergne mais il est « impossible » qu’il s’en prenne à des animaux vivants, affirme Christian Amblard, directeur de recherche au CNRS et président du Conseil scientifique des réserves naturelles du Massif du Sancy. « Ce n’est pas un chasseur. Il n’a pas le bec et les serres d’un rapace comme l’aigle. Dans quelques rares cas, il peut se nourrir d’animaux sur le point d’agoniser et qui n’auraient de toute façon pas survécu. Mais, contrairement aux prédateurs, c’est l’absence de mouvement qui le stimule« , souligne-t-il.
Dans les régions de nidification, les éleveurs installent des « placettes« , où ils déposent les cadavres de leurs animaux pour les nourrir, entretenant une « relation à bénéfice réciproque » avec ces « équarrisseurs naturels« , explique le chercheur. Mais pour Sabine Tholoniat, « un oiseau sauvage que l’on nourrit devient un animal d’élevage et nous ne voulons pas de cela ! » « Le système des placettes ne leur suffit plus. Donc, ils viennent se nourrir chez nous« , affirme Delphine Freyssinier, secrétaire générale de la FDSEA du Cantal, où quelques cas de vaches dépecées ont aussi été recensés.
Pourtant, lorsqu’ils manquent de nourriture, « le taux de reproduction des vautours chute naturellement et nous n’avons rien constaté de tel dans les suivis fins que nous réalisons« , assure Bruno Veillet pour lequel « l’hypothèse du comportement déviant de vautours affamés n’est pas possible« .