Grogne en Suisse des cueilleurs de champignons contre des mesures de protection de la biodiversité

Tomasz Proszek de Pixabay

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Tomasz Proszek de Pixabay
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L’appel de la forêt est devenu irrésistible pour les citadins depuis les étouffantes restrictions du Covid-19. Mais en Suisse les nouvelles mesures limitant la cueillette pour préserver la biodiversité hérissent les amateurs de champignons.

Avec la pandémie, « les gens sont revenus en forêt », explique Jean-Michel Froidevaux, président de l’Association suisse des organes officiels de contrôle des champignons (Vapko) qui organise des formations pour « champignonneurs », terme utilisé en Suisse.

« On a vu beaucoup de gens qui n’y connaissaient rien » aux champignons qu’ils cueillaient, raconte-t-il à l’AFP, lors d’une formation de 5 jours à Leysin, dans les Alpes.

Face à cet intérêt, l’association a ouvert des classes supplémentaires. « Depuis 2020, cela a explosé. On est limite pas assez de formateurs », raconte Frédérique Clerc, contrôleuse de champignons dans le Val-de-Travers, tout en accompagnant sous la pluie une dizaine de mycophiles dans une forêt près des Mosses.

Un boom qu’observe Jean-Paul Landraud, pharmacien à la retraite qui suit avec son épouse ces ateliers pour le plaisir : « J’y suis allé avant le Covid, on était quelques dizaines. Maintenant on est 120 ».

« Cela s’est vulgarisé, tout le monde va aux champignons », dit-il, en écoutant les conseils de Mme Clerc.

Ecosystème forestier

Cet enthousiasme suscite des craintes sur ses effets sur la biodiversité : les champignons sont considérés comme les garants de l’écosystème forestier car ils décomposent la matière organique morte et contribuent à l’apport en eau et en nutriments des arbres.

Leur rôle clé est d’ailleurs à l’agenda des discussions de la COP16 ONU sur la biodiversité qui se déroule jusqu’au 1er novembre en Colombie, alors que des pays et organisations demandent que les champignons soient davantage protégés.

En Suisse, plusieurs cantons disposent déjà de restrictions en termes de quantités et de jours de cueillette.

Le canton de Vaud, dans l’ouest du pays, a à son tour introduit en juillet des mesures, pour offrir une pause à la nature : maximum 2 kg par personne, cueillette interdite les sept premiers jours du mois, et que de 7h à 20h les autres jours.

Si certains observateurs estiment que cela va dans le bon sens sur le plan pédagogique, sur les réseaux sociaux, c’est l’agacement. Et des politiciens réclament le retrait des mesures.

« Tout le monde trouve ça ridicule… on est très frustrés », résumé Florence Wyss, retraitée, qui suit des formations après avoir été intoxiquée par un champignon.

Les autorités vaudoises chargées de la biodiversité assurent ne pas vouloir « stigmatiser » les amateurs de champignons.

L’interdiction des 7 jours est « difficile à comprendre », affirme M. Froidevaux, expliquant qu’une étude sur 30 ans de l’Institut fédéral sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) montre que la cueillette n’influe pas sur le nombre de fructifications fongiques et la diversité des espèces.

Piétinement

L’étude de 2006 montre toutefois que le piétinement du sol n’est pas sans effet à court terme, et suggère de limiter la période de cueillette.

Les champignons ne sont pas les seuls à susciter l’appétit du public. Des associations, mais aussi des stations de ski, multiplient les cours sur la cueillette des plantes, une tendance lancée depuis plusieurs années par de grands chefs comme le Danois René Redzepi ou le Français Marc Veyrat.

En Suisse aussi l’association Euro-Toques organise des séminaires sur les plantes pour ses membres.

Son président, Thierry Bréhonnet, chef de cuisine au restaurant 1209 dans la petite station de ski de Blonay, a même fait des herbes des champs sa spécialité, qu’il récolte entre deux services.

« C’est une philosophie de travail. Après le Covid, on a pris conscience qu’il fallait utiliser les produits qui poussent près de chez nous. On revient à ce côté nature que l’on doit réapprendre à maîtriser », dit-il à l’AFP, un brin d’aspérule odorante à la main.

Selon Pro Natura, plus ancienne organisation suisse de protection de la nature, l’afflux du public peut « avoir des conséquences sur les écosystèmes », comme le piétinement de la végétation, le dérangement de la faune ou la surexploitation de ressources comme les champignons.

Mais « nous sommes plus préoccupés par les activités sportives, lorsqu’elles demandent la création de nouvelles infrastructures, telles des pistes spécifiques pour le VTT », glisse son porte-parole Nicolas Wüthrich, à l’AFP.