De plus en plus contesté dans le champ politique, le « Pacte vert » de l’UE est aussi la cible avant les élections européennes de campagnes de désinformation destinées à l’accuser de tous les maux, comme l’introduction d’un supposé « passeport carbone » ou l’interdiction de réparer les voitures de plus de 15 ans.
Ce projet qui se veut fédérateur visant à décarboner l’UE et à préserver ses écosystèmes a marqué le mandat d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission mais il est désormais sous le feu de critiques ouvertes à droite, à l’extrême droite et dans certains secteurs comme l’agriculture.
La bataille pour l’avenir du Pacte vert se joue aussi sur les réseaux sociaux où s’opère, selon Arnaud Mercier, professeur en sciences de l’information à Paris (Université Panthéon-Assas), « une convergence des luttes entre extrême droite, climato-scepticisme et conspirationnisme » pour tenter de le délégitimer par le biais de la désinformation.
Avec le renfort, souligne-t-il, d’internautes méfiants vis-à-vis de l’Europe ou de la science qui peuvent « de bonne foi » se faire les relais de telles campagnes.
D’autres chercheurs mettent en exergue l’action délibérée d’Etats cherchant à affaiblir l’UE. « Le Kremlin diffuse de manière active des narratifs de désinformation relatifs au Pacte vert », avertit ainsi Martin Vladimirov, le directeur du programme énergie et climat du Centre pour l’étude de la démocratie de Sofia, qui cite la propagande prorusse « sur les dangers des éoliennes ».
« Passeport carbone » ?
Les fact-checkeurs de l’AFP en Europe ont ces derniers mois mis en évidence une série d’allégations trompeuses sur des réformes du Pacte vert adoptées (transports, énergie), enlisées (agriculture, biodiversité) ou même… fantasmées.
Ainsi cette accusation qui a circulé en Roumanie sur la prétendue instauration par l’UE d’un « passeport carbone » pour mesurer les émissions de chaque personne, dénoncée comme étant liberticide.
La fausse information a été notamment relayée par une députée du parti d’extrême droite AUR, Gianina Serban, qui l’a utilisée pour dénoncer la transformation de l’UE en « commissariat soviétique » et appeler à voter pour « les patriotes et les souverainistes » aux élections européennes.
Dans les cas les plus fréquents, la désinformation porte sur des textes existants qu’elle dénature.
La voiture, avec la mesure phare de la fin des moteurs thermiques dans celles, neuves, vendues à partir de 2035, est un sujet ultra-sensible. Aux quatre coins de l’Europe, des internautes ont ainsi affirmé que l’UE allait interdire la réparation des véhicules « de plus de 15 ans » ou même les « saisir » pour les « mettre au rebut ».
Vérification faite, la Commission européenne a effectivement proposé, en juillet 2023, de réviser son texte sur les « véhicules hors d’usage » pour que leur recyclage soit mieux géré mais sans empêcher un particulier de faire réparer sa voiture.
Autre exemple, en Suède, des internautes ont réclamé la sortie de leur pays de l’UE après des publications sur la loi de restauration de la nature votée fin février au Parlement européen, qui affirmaient à tort qu’elle excluait toute pratique agricole dans les zones restaurées.
« Repolitiser » le débat
« Une partie non négligeable des +fake news+ procèdent par exagération, décontextualisation », analyse Arnaud Mercier.
« Un dispositif complexe comme celui de l’Union européenne s’y prête d’autant mieux, avec de multiples instances, intervenants, lobbies et la manipulation découle alors de l’attribution à l’institution dans son ensemble de ce qui a pu être seulement évoqué ici ou là », insiste l’universitaire.
Mais, plus largement, c’est « la rhétorique politique consistant à ne pas dire exactement » quels sont les vrais enjeux « pour obtenir une forme de compromis politique » sur les questions environnementales, qui, selon lui, alimente involontairement cette désinformation parce qu’elle « ouvre un espace que viennent combler des récits alternatifs ».
Le chercheur bruxellois Alvaro Oleart (ULB) met lui aussi en cause le discours trop « technocratique » d’Ursula von der Leyen et des promoteurs du Pacte vert qui ont contribué selon lui à « dépolitiser les enjeux ».
« Le meilleure façon de combattre la désinformation, c’est moins de faire du fact-checking que d’encourager un débat politique » gauche-droite autour de ces questions pour « les repolitiser », en relevant « les tensions », en nommant « les gagnants et les perdants de ces transformations ».