Dans un bois anglais, de rares abeilles sauvages font le buzz

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« Extraordinaire, la reine pond! », s’enthousiasme Felipe Salbany. Suspendu à mi-hauteur d’un chêne multicentenaire dans le centre de l’Angleterre, il observe des abeilles sauvages rares par un petit trou dans le robuste tronc. « C’est une vraie salle de classe, c’est fantastique, incroyable! » poursuit, à propos de cette colonie en effervescence, l’homme harnaché à une quinzaine de mètres au-dessus des terres du majestueux palais de Blenheim.

Passionné de longue date par les abeilles, ce physiologiste sud-africain de 55 ans en est persuadé : ces insectes, dont il a passé une bonne partie des 18 derniers mois à rechercher les ruches dans les bois anciens du domaine, sont loin d’être ordinaires.  Elles proviennent, explique-t-il à l’AFP, d’un rare écotype – une sous-espèce occupant un habitat particulier – dont la lignée remonterait à plusieurs siècles dans cette partie même de l’Oxfordshire. Si des résultats d’analyses ADN doivent encore venir apporter confirmation, la découverte de potentielles descendantes d’abeilles endémiques fait déjà bourdonner d’excitation à Blenheim et au-delà. On croyait en effet que ces populations avaient largement disparu en raison de maladies, des pesticides et de la concurrence avec des espèces étrangères.
Les abeilles jouent un rôle central dans la biodiversité grâce à la pollinisation, cruciale également pour l’agriculture. Selon Felipe Salbany, les abeilles à miel sont utilisées à outrance pour répondre aux besoins de consommation de l’homme, avec des effets néfastes pour l’environnementn: stress pour les abeilles ou encore risque de supplanter les autres insectes. « L’abeille à miel a développé un statut de héros, parce que c’est l’abeille que nous pouvons gérer (…) mais nous avons commercialisé quelque chose qui ne devrait pas l’être », estime-t-il.
Et les abeilles indigènes sont menacées à travers le monde. Au Royaume-Uni, où la plupart de ces insectes sont d’origine étrangère et vivent dans des ruches gérées, on estime qu’un tiers des abeilles endémiques ont disparu ces dernières décennies, décimées notamment par le varroa, un acarien parasite. Les abeilles de Blenheim ne semblent pas être touchées, conduisant Felipe Salbany à croire qu’elles se sont adaptées.  Le domaine s’est aussi révélé être un environnement idéal pour cet écotype, avec de grandes étendues inaccessibles au public, l’absence de ruches gérées ou de production agricole recourant à des pesticides. Ses centaines d’hectares de bois anciens, largement préservés, comptent la plus grande concentration de chênes anciens d’Europe. Certains ont près de 600 ans.
Felipe Salbany, ancien cycliste international qui entraîne des athlètes, y avait commencé ses recherches sans beaucoup y croire.  A sa grande surprise, il a dénombré près de 50 ruches nichées dans des arbres, étonnamment résistantes à la période hivernale. Il estime que leur nombre pourrait atteindre les 500. Selon lui, certaines ruches pourraient avoir jusqu’à 200 ans. « Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’autres endroits comme ça ».
Les abeilles de Blenheim sont plus petites, plus poilues et plus foncées que celles qui occupent habituellement les ruches gérées au Royaume-Uni. « C’est une abeille qui ne connaît pas le stress des pesticides, des produits chimiques, de la survie », souligne-t-il. Leur existence a des implications mondiales, estime-t-il. « Si nous pouvons trouver des sous-espèces locales d’abeilles (…), nous pouvons en apprendre bien plus sur l’environnement et améliorer les systèmes agricoles ».  « Que ce soit en Roumanie, en Bulgarie ou en France, nous devons examiner les espèces qui survivent et comprendre les facteurs qui affectent les abeilles, que ce soit des produits chimiques, des pesticides, l’intervention humaine ». Avec l’espoir de maintenir la pollinisation, essentielle à la vie, à de « bons niveaux ». Nick Baimbridge, à la tête du département forestier de Blenheim, avait à peine remarqué ces abeilles durant les trois décennies où il a travaillées pour le site de Blenheim. « Nous n’avions jamais vraiment fait attention jusqu’à ce que Felipe arrive et mette en évidence que c’était si unique ».  Pour Rob Stoneman, de l’association Wildlife Trusts, cette découverte est « remarquable »: « Cela montre la valeur et la complexité de nos bois anciens et la nécessité de protéger ces habitats uniques à perpétuité », dit-il à l’AFP.