Présidente du directoire d’Actes Sud, Anne-Sylvie Bameule explique l’engagement de son entreprise dans le festival Agir pour le Vivant.
Infonature.media : Pour une maison d’édition telle qu’Actes Sud, que représente Agir pour le Vivant ? Une opération promotionnelle ?
Anne-Sylvie Bameule : Avant tout, c’est le prolongement notre métier d’éditeur. Accompagner des auteurs qui ont la générosité de transmettre leurs pensées, leur réflexion, leur imaginaire, à travers des ouvrages est une chose, mais si une partie de la population vient en librairie, c’est loin de représenter la majorité ! Or quand on a, comme c’est le cas d’Actes Sud, tout un segment éditorial dédié à la nature, aux questions de société, à la question de la transition, à l’engagement, ce message a besoin d’être diffusé d’une façon très large. Un événement comme celui-là permet que la pensée de l’auteur s’exprime in situ, en dialogue avec d’autres. Rendre accessible une pensée nous semble nécessaire aujourd’hui : notre responsabilité d’éditeur c’est d’accélérer cette mécanique de diffusion. Agir pour le Vivant fait partie notre réponse à cette préoccupation.
La deuxième ambition de ce festival, c’est de répondre à une demande qui a été formulée au départ par nos certains de nos auteurs : pouvoir se rencontrer, échanger entre scientifiques de disciplines diverses. Aujourd’hui la recherche est très segmentée et chacun souffre de cette segmentation : on a besoin d’entrer dans une pensée très holistique, très globale, et leur isolement dans leur discipline les fragilise. Plusieurs nous ont dit « vous publiez un tel, j’aurais besoin de le rencontrer », et c’est donc un des points qu’on a mis au cœur de cette manifestation : l’hospitalité. Pour cela nous organisons, en parallèle des conférences, des temps de rencontre entre les auteurs, entre les intervenants, pour que puissent s’échanger des idées, émerger des projets, se créer des dynamiques, apparaître de nouvelles formes de questionnements qui permettent de prolonger ce qui ce qui se déploie pendant cette manifestation.
Qui est le public d’Agir pour le Vivant ?
Je ne peux pas vous dire si les gens qui viennent sont plutôt des grands lecteurs ou plutôt des non-lecteurs. Mais notre premier constat, lors de la première édition du festival en 2020, a été que dans notre librairie le chiffre d’affaires du rayon « sciences humaines », qui est d’ordinaire à zéro pendant l’été, a explosé ! Les gens qui sont venus ont découvert les collections les livres mais il est certain que ces conférences aiguisent la curiosité : accéder à cette connaissance de façon simple et donc très accessible donne l’envie d’aller plus loin. Un essai 300 pages sur le droit de propriété ou sur la relation entre les cachalots et les humains n’est pas forcément ce vers quoi on va de façon spontanée en librairie : en été on va préférer un polar ou un manga ! Mais si vous rencontrez un auteur qui, en plus de bien parler, vous explique des choses qu’on ne vous a jamais racontées, vous allez chercher le livre qui vous permet d’aller plus loin sur cette question. En ce sens, vous avez raison, Agir pour le Vivant est bien une opération promotionnelle. Je revendique complètement mon statut d’épicière : je vends des produits absolument merveilleux, créés par des gens incroyables, mais le livre c’est un artisanat Le libraire est un commerçant et l’éditeur fait la jonction : pour réussir il vaut mieux ne pas oublier qu’on est dans un métier d’épicerie. Chaque exemplaire que nous vendons, c’est une action en soi, une victoire dans la diffusion d’une connaissance.
Ce que nous constatons aussi, et ça témoigne de la diversité du public c’est qu’en fonction du sujet la fréquentation change. Pour une conférence sur la finance le public sera 95 % masculin, alors que pour une rencontre sur la santé ou la pédagogie il sera à 95 % féminin.
Dernier constat sur le public : ce sont de plus en plus des entreprises qui viennent ici chercher de l’inspiration. Il devient incontournable pour chacune d’elles de se poser la question de son modèle de production, de son modèle de diffusion, de distribution, et on voit bien que l’application pure et dure de certaines « recettes de cuisine » bloque assez vite. Et l’énergie qu’il faut dépenser pour imposer une recette est considérable, alors que si vous inspirez les gens, d’un coup chacun est capable d’inventer des voies nouvelles. C’est ce que nous portons à travers nos collections comme « Domaine du possible » : pas dire aux gens-là il faut faire comme ci ou comme ça comme ça, mais proposer des récits qui montrent qu’un autre chemin est possible et donner les outils qui permettent pour chacun en autonomie de décider quel est son propre modèle.
Tout cela fonctionne très bien à Arles, mais pourquoi avoir internationalisé le festival, en Colombie ou au Cameroun ?
C’est un mouvement qu’on avait pas du tout anticipé, et qui s’est fait de façon tout à fait naturelle ! Nous avions invité une jeune documentariste et réalisatrice colombienne à venir parler des luttes qu’elle filmait et des actions qu’elle a pu mener en Colombie autour de l’industrie minière pour protéger les villages. Elle a par la suite amené d’autres personnes, notamment des gens qui s’occupent d’une mutuelle en Colombie à Medellin, et ils sont venus nous dire « on veut faire la même chose ». Ca s’est passé de la même manière pour le Cameroun : des désirs s’expriment et finalement nous créons un partenariat qui s’appuie sur notre façon de concevoir nos thématiques, de concevoir les tables rondes, et en retour le festival s’enrichit de ces regards. En Europe on a un angle un peu biaisé et finalement s’ouvrir à des populations qui opéré de cette rupture l’humain et la nature, c’est très inspirant et rassurant.