Emmanuelle Sarat : de la jungle aux espèces invasives

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Ingénieure forestière de formation, Emmanuelle Sarat a parcouru la jungle guyanaise pour étudier les arbres et le sol, avant de s’intéresser à la réglementation de la chasse. Aujourd’hui Coordinatrice du Centre de ressources Espèces exotiques envahissantes du Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), elle endosse le rôle de provocatrice de synergies dans le cadre de la lutte contre les invasions biologiques.

Alors que le gratin de la protection de l’environnement – des représentants du Parc National de Port-Cros, de l’Office français de la biodiversité (OFB), du Ministère de la Transition écologique, du Parc naturel régional du Golfe du Morbihan… – embarque pour une virée pédagogique sur la lagune de Thau, afin d’en apprendre plus sur le crabe bleu, une espèce invasive, Emmanuelle Sarat, Coordinatrice du centre de ressources Espèces exotiques envahissantes (EEE) au Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), joue les entremetteuses. « Une femme pour les coordonner tous. Une femme pour les trouver. Une femme pour les amener tous et sur l’étang les lier » : voilà qui résume bien sa mission – et sa passion.

Depuis 10 ans, Emmanuelle travaille sur la thématique des EEE, au sein de laquelle il y a, selon elle, « tout à faire ». « On a peu de connaissances sur les organismes invasifs, et c’est une problématique à contrepieds de la conservation, où les espèces ne sont pas menacées, mais sont elles-mêmes une menace ! » Surtout, l’homme est au cœur de la problématique : c’est lui qui leur ouvre la porte vers de nouveaux milieux et, outre les écosystèmes patrimoniaux, ce sont ses activités économiques qui s’en trouvent impactées. Le centre de ressources EEE de l’UICN se veut donc un dispositif d’appui aux acteurs pour relever le défi des invasions biologiques : « On les forme, on synthétise les connaissances scientifiques, on fournit des outils de travail… » Dans ce cadre, Emmanuelle tire grande satisfaction à provoquer les synergies et à débusquer les connaissances scientifiques enfouies dans la littérature grise ou détenues par des gens qui ne les valorisent pas.

Cette double appétence – pour l’humain et la connaissance – a très vite caractérisé son parcours professionnel. Celle qui avait étudié pour devenir ingénieure forestière a d’abord choisi la science pure, en partant sur le terrain dans la jungle guyanaise, écosystème fantasmé. « Ce fut une expérience incroyable. On s’enfonçait pendant des semaines en forêt tropicale pour analyser le lien entre la croissance des arbres et la formation des sols. On faisait également des prélèvements. C’était tellement humide que nos échantillons ne séchaient pas, on devait utiliser un petit réchaud pour les inventorier dans notre herbier mobile ! » Par la suite, Emmanuelle a souhaité travailler en lien avec la société qui dépendait de cette forêt, en intégrant une approche « sciences sociales » qui lui manquait jusqu’ici. Elle s’est donc penchée sur les interactions homme-milieu à travers la chasse de la faune sauvage en Guyane. Les enjeux : réfléchir à mettre en place un permis de chasse et des quotas. « A l’époque, il n’y avait aucune réglementation, j’ai donc travaillé avec les scientifiques pour créer des suivis des animaux chassés et rencontré les populations créoles et bushinenguées pour connaître leurs pratiques de chasses. Je me suis confrontée à la réalité de terrain, aux vrais enjeux de la protection de l’environnement. »

C’est à l’occasion de son retour en métropole qu’elle aborde finalement les EEE, en charge pour l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS, nouvellement OFB) d’animer un réseau d’acteurs sur les vertébrés exotiques envahissants du bassin de la Loire. Elle rejoindra naturellement l’UICN qui, la première, avait pointé la menacé des organismes invasifs pour les écosystèmes.

Emmanuelle ne cache pas que la thématique des EEE a quelque chose de frustrant : l’impression d’une inéluctabilité des invasions biologiques. « Quoi qu’on fasse, au final, ces espèces parviennent souvent à s’implanter. C’est fortement lié à la globalisation des activités humaines. On se sent parfois impuissant, dépassé. » Elle souhaiterait que la prévention devienne le mot d’ordre chez les acteurs de la nature, car en la matière, si l’on cherche juste à guérir, il est généralement déjà trop tard. « Là où il y a vraiment urgence, c’est dans les milieux insulaires et outre-mer, où les EEE menacent des espèces endémiques et fragiles. C’est sur ça que j’aimerais me concentrer. » L’annonce à peine cachée d’un retour à ses amours Guyanaises ?