« La protection de la nature a une histoire, écrivons-la ensemble » : c’est le slogan de l’Association pour l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement (AHPNE), que préside Henri Jaffeux.
A deux semaines du colloque De la réserve intégrale à la nature ordinaire, que l’AHPNE organise les 29 et 30 septembre, Henri Jaffeux revient sur l’histoire de l’association, mais surtout sur la nécessité de fournir aux acteurs d’aujourd’hui des bases historiques indispensables dans le débat public.
Infonature : Le colloque en ligne que L’AHPNE organise les 29 et 30 septembre est intitulé De la réserve intégrale à la nature ordinaire. Le sous-titre précise « Les figures changeantes de la protection de la nature (XIXème-XXIème siècle) ». A quoi nous sert-il, aujourd’hui, de revenir sur ce passé ?
Henri Jaffeux en 5 dates
1951 – Naissance à Pessat Villeneuve (Puy-de-Dôme)
1973 – Titulaire du BTS « protection de la nature », entre à l’Office national des forêts, chargé de l’accueil du public au domaine de Chambord.
1975 – Intègre la Direction de la protection de la nature au ministère de l’environnement. Successivement chargé des réserves naturelles, des parcs nationaux, des Zones naturelles d’intérêt faunistique ou floristique (ZNIEFF) et du secrétariat du Conseil national de la protection de la nature (CNPN)
1991 – Chargé de mission au cabinet du ministre de l’environnement, puis retour à la Direction de la nature et des paysages pour gérer le dossier Natura 2000.
2009 – Création de l’AHPNE
Henri Jaffeux : Dans mon parcours professionnel, et notamment au ministère de l’écologie, j’ai participé à de nombreuses réunions avec, souvent, des interlocuteurs peu informés sur les questions de nature, à qui il fallait commencer par tout expliquer : ce qu’est un écosystème, un habitat naturel, l’écologie des espèces sauvages, pourquoi et comment les protéger ? etc. En France, la nature n’est pas notre culture ! Pour certains, la protection de la nature c’était toujours une couche supplémentaire qu’on rajoutait à des couches déjà existantes. Le problème, c’est qu’ils n’avaient pas forcément tort ! Des outils législatifs réglementaires et techniques de protection de la nature, il y en a eu beaucoup depuis une soixantaine d’années. Et très peu ont disparu (sauf les réserves naturelles volontaires). Tous les autres demeurent, et ils cohabitent aujourd’hui dans un système complexe pour les citoyens que l’on désigne sous le nom d’aires ou d’espaces protégés. On avait donc droit à des réflexions de nos opposants sur le mode « ça suffit, les parcs nationaux, les PNR, les réserves naturelles, les terrains du Conservatoire… Et maintenant vous nous en mettez encore une couche avec Natura 2000 ! ». Objection pas forcément illégitime : si de nouveaux outils ont été rajoutés au fil du temps, c’est sans doute que les précédents n’avaient pas donné toute satisfaction. Ils en avaient bien conscience (et peut-être en jouaient-ils un peu). Dans ce jeu d’acteurs et le rapport de forces qui en découlait, nous avions aussi des professionnels de la protection et des militants associatifs peu formés sur l’origine et la justification de ces outils. Difficile, sur ces bases, d’installer un dialogue fécond. Au cours de ce colloque, nous allons travailler cette histoire de la protection de la nature, au travers, principalement des aires protégées et interroger les rapports que nous entretenons avec la nature et les solutions qui ont été mises en place pour assurer sa protection. Ce qui nous intéresse c’est cet univers de la protection de la nature, y compris dans sa dimension sociale : les comportements individuels ou collectifs par rapport à ces questions, leur dimension politique, la vision que nous en avons en France.
Par delà ce colloque, l’AHPNE se tourne vers le passé pour mieux appréhender la genèse des questions environnementales qui se posent aujourd’hui. Loin d’être animés par une simple curiosité érudite ou universitaire, nous pensons que cet investissement sur le passé peut aider les acteurs du temps présent à penser les enjeux écologiques auxquels nous faisons face, de même qu’à intéresser les différents corps sociaux à ces questions. Ainsi, le syndicalisme est venu très tardivement aux préoccupations environnementales. Tous les secteurs de la société y sont venus à des dates très différentes. Aujourd’hui il n’y a pas de réunion de la FNSEA ou d’un syndicat quelconque qui ne se préoccupe pas de la question environnementale de même que les milieux patronaux Cela n’a pas toujours été le cas loin s’en faut. Il faudrait aussi parler des associations de protection la nature : elles sont à un tournant générationnel. Les pionniers et les membres fondateurs ne sont plus là. Par manque de temps et de moyens, elles se sont en général peu investies dans la transmission de leur mémoire et la sauvegarde de leurs archives. Maîtriser l’histoire, avoir la culture de ces sujets, si ça ne fait pas de bien ça ne peut pas faire de mal non plus ! Les interlocuteurs des protecteurs sont des gens qui ont évolué, qui maîtrisent parfaitement leurs dossiers. Le niveau s’élève dans les discussions. Il peut être bénéfique d’avoir les éléments antérieurs si on parle, par exemple, de l’emploi du glyphosate et des produits phytosanitaires. Ces produits ne sont pas tombés du ciel. L’AHPNE a co-organisé un colloque en 2018 sur l’histoire des modernisations agricoles : pourquoi a-t-on aujourd’hui une agriculture dopée aux désherbants et aux pesticides ? L’histoire n’explique évidemment pas tout, et ça n’excuse rien, mais elle aide à comprendre les évolutions de l’agriculture, à savoir comment ces évolutions se sont produites, dans quel contexte, selon quelle philosophie économique, en fonction de quelles contraintes techniques, quel rôle ont joué ou jouent encore l’industrie, les lobbies… et les consommateurs que nous sommes ! Si quelqu’un veut convaincre les agriculteurs de changer de méthode et d’abandonner le glyphosate, il vaut mieux qu’il connaisse toute cette histoire. Ça peut servir à faire monter le niveau de la discussion… voire, disons-le, à déstabiliser son interlocuteur!
OK. L’histoire est un sport de combat… Mais elle peut aussi conduire à encenser ou à justifier des pratiques passées, y compris quand elles ont échoué. Peut-elle générer du conservatisme ?
Ce risque peut exister en effet. On peut rencontrer des situations où on se montre trop conservateur, trop imprégné de méthodes d’action que l’on maîtrise alors qu’il y aurait besoin d’innover. Je n’ignore pas cet effet-là, même si je pense que les aspects positifs l’emportent. Porter un regard critique, mettre en débat, explorer les zones d’ombre du passé, on ne le fait sans doute pas assez… parce qu’on n’en a pas les moyens ! Et disons-le clairement : nous n’avons pas, à l’AHPNE, l’ambition de nous substituer à l’université ! Ce qui demeure, c’est qu’en matière d’environnement, chaque génération règle les questions… que la génération précédente lui a léguées, celles qu’elle avait, au mieux, soulevées mais pas, ou insuffisamment solutionnées. On tâtonne, on hésite, il manque des éléments scientifiques… ou la volonté politique, le temps passe, les problèmes restent et de nouveaux se greffent. Et à la génération suivante on essaie de résoudre les problèmes non résolus, et ce faisant on en génère de nouveaux … Mais pour résoudre les problèmes du temps présent il est nécessaire – condition nécessaire mais pas suffisante – de comprendre d’où ils viennent.
A propos de zones d’ombre, le livre de Guillaume Blanc, L’Invention du colonialisme vert (Flammarion), qui vient de sortir, jette un énorme pavé dans la mare en revenant sur l’éviction des Africains et le néocolonialisme à l’œuvre dans les luttes pour la préservation de la nature en Afrique. Il incrimine très directement l’UICN, le WWF, l’UNESCO, qu’il qualifie d’ « institutions internationales [qui] ne protègent pas la nature africaine, [mais qui] protègent une idée coloniale de l’Afrique ». Vous allez l’inviter à un prochain colloque ?
Cette question n’est pas nouvelle pour nous ! Dès notre premier colloque en 2010, que nous avions intitulé “Une protection de la nature et de l’environnement à la française” avec un « ? », nous avions consacré toute une séance à la problématique de la protection de la nature dans les colonies. Plusieurs intervenants avaient interrogé cette histoire qui commençait à être documentée par une série de travaux scientifiques. Certaines de ces communications discutaient du rôle de l’expérimentation coloniale française comme l’une des sources de l’origine du développement de la protection de la nature en métropole, après les indépendances et le rapatriement des ingénieurs forestiers, des agronomes et des autres fonctionnaires affectés à ces activités, en Algérie, notamment. Certaines autres questionnaient plus directement la pratique et les initiatives prises pour créer des parcs et réserves et prendre d’autres mesures de protection et étaient critiques à l’égard de certaines d’entre elles, non dénuées d’ambiguïtés ou d’arrières pensées de la part des parties prenantes. Une autre retraçait le rôle de l’UICN, évoluant d’un “préservasionnisme” (UIPN) d’inspiration française à un “conservationnisme” (UICN) plus en phase avec le nouveau contexte social et économique des pays nouvellement indépendants. Je renvoie à l’ouvrage du colloque publié aux éditions Champ Vallon. Moi-même, pour le 50ème anniversaire de la loi de 1960 créant les parcs nationaux en France, j’avais retracé dans un article la longue et complexe histoire de leur institutionalisation. Le sujet était : Yellowstone (premier parc national américain) 1872, Vanoise (premier parc national français) 1963. Pourquoi quasiment un siècle de retard ? Je montrais le paradoxe : nous n’avons pas créé de parc national en France métropolitaine, pas plus, d’ailleurs, que de réserves naturelles (officielles) avant les années 1960, par contre dans les colonies… on en a créés en nombre et bien plus tôt ! Ainsi, par exemple, dès 1921, un arrêté du gouverneur de l’Algérie, définit le statut local des parcs nationaux. Ilétait plus facile pour l’administration coloniale de créer des parcs et d’installer des servitudes d’utilisation des sols ou de limiter l’usage de certaines pratiques dans de grands espaces peu peuplés, sans cadastre, sans régime de propriété.
Après les premiers temps de la colonisation, dans la seconde moitié du XIX e siècle, témoins de massacres d’animaux, de pillage de la flore perpétués par des chasseurs, des aventuriers, des collectionneurs et des négociants en bois, les puissances colonisatrices finissent par réagir et signent la convention de Londres de 1900, renégociée en 1933. pour préserver la grande faune africaine. Elle a accouché de la définition internationale des parcs nationaux et des réserves intégrales, dans le but de mettre un terme à la confusion qui existait entre les visions et les pratiques des différents pays pour gérer la nature dans les colonies. Avaient-elles des arrière-pensées ? En 1913, à l’initiative du Touring Club de France avait été créé une association des parcs nationaux de France et des colonies. Ayant eu peu de succès en métropole dans son entreprise, elle développa son action dans les colonies,entre les deux guerres. En 1925, cette association et le professeur Abel Gruvel (1870-1941) du Muséum de Paris, établissent pour le gouvernement une liste des espèces à protéger et des parcs et réserves à établir dans l’ensemble des colonies françaises. La même année, il assure la présidence d’un comité national de la protection de la faune coloniale. Pour le bilan, si on s’en tient, en 1956, aux 12 parcs nationaux et aux 17 réserves intégrales créés, cela concerne une superficie de plus de 40 000 km² soit deux fois celle du parc amazonien de Guyane d’aujourd’hui ! Après les décolonisations, les nouveaux Etats ont généralement repris cette géographie, peu de parcs ont été supprimés. Cette activité des puissances coloniales européennes est un trou noir historique, elle était peu étudiée, comme je vous l’ai dit. De ce point de vue, le travail de Guillaume Blanc, qui avait participé à notre colloque de 2010 est salutaire, mais je n’ai pas encore lu son livre. Il m’est donc difficile de commenter ses prises de position qui sont rapportées par les media. Il semble faire sienne l’analyse de certains auteurs comme quoi les mesures de protection de la nature ont bien plus été un outil de domination coloniale que de conservation ou de préservation de la nature en Afrique. Ce raisonnement tranché montre qu’il n’y a pas de réponse univoque sur cette question. Il est peut-être prématuré d’en conclure aujourd’hui au « colonialisme vert » même s’il a pu y avoir, dans le passé, dépossession de droits ou de terres. Médiatiquement c’est bien dans l’air du temps, mais ce serait dommage de ne pas aller au-delà : il paraît difficile de concevoir que les animateurs de l’UIPN (aujourd’hui UICN) après sa création en 1948, ceux du WWF ou de l’UNESCO n’étaient animés que par des intentions colonialistes. Il y avait quand même aussi des réalités, des constats de disparition d’espèces dans ces pays. Ça ne peut pas être totalement binaire. Là encore, il faut interroger cette histoire dans toutes ses dimensions, surtout croiser les regards et ne pas craindre de la mettre en débat.
Dans le programme du colloque des 29 et 30 septembre, une table-ronde s’intitule « Peut-on encore gouverner la nature » ? Pourquoi « encore » ? C’était mieux avant ?
C’est une question que nous aborderons pendant ce colloque, mais aussi le 9 octobre à l’occasion d’une autre table-ronde pendant les Rendez-vous de de l’histoire de Blois. C’est dire si elle est importante à nos yeux !
L’intérêt de cet intitulé, c’est qu’il peut être compris de plusieurs manières. Par le passé nous avons piloté la nature par la domination. Disons, depuis Descartes et les Lumières, pour éviter de remonter au néolithique. Aujourd’hui, le covid, les virus qui nous dépassent et qui ne se laissent pas aisément « gouverner » font-ils échec à notre capacité de dominer la nature ?
Autre piste : nous avons connu des civilisations et des sociétés plus en harmonie, en équilibre, en phase, dans un rapport gagnant/gagnant, où l’on constatait une utilisation et une exploitation de la nature, mais avec des moyens moins importants, ces moyens avaient plus de limites que ceux que nous utilisons maintenant. Il y avait alors une forme de cohabitation plus équilibrée : la nature exerce aussi des pressions sur nous, ça marche dans les deux sens. Cet équilibre était-il meilleur ? Aujourd’hui, peux-t-on passer un “pacte de non agression » avec la nature ?
Ce sont les moyens de ce gouvernement de la nature qui devront être mis à jour, ainsi que leurs limites et leurs jeux d’échelles (ministères de l’environnement, programme pour l’environnement des Nations Unies, politique européenne, collectivités locales, associations, etc.). En fin de compte, chercher ce qu’a pu signifier historiquement « gouverner la nature » c’est peut-être éclairer et mettre en avant un autre sens du verbe « gouverner » : avoir soin qu’une chose soit en bon état et le reste, ne périsse pas.
Puisque nous parlons d’histoire… Si vous nous racontiez celle de l’AHPNE ?
Je peux vous la raconter telle que je l’ai vécue, puisque j’ai fait partie des fondateurs de cette petite entreprise… Pendant toute ma carrière, dans les dossiers que j’ai traités au ministère, j’ai eu la curiosité de voir ce qui s’était passé avant : j’ai toujours eu le souci d’exploiter et de conserver les archives, j’étais surpris de me trouver dans des réunions et de découvrir que certains de mes interlocuteurs avaient peu de connaissances antérieures sur le sujet.
En 1991, le directeur de la protection de la nature Gilbert Simon a voulu engager une réflexion sur la protection de la nature et faire de la prospective pour voir comment les choses pourraient évoluer. Il avait convoqué un séminaire du Conseil national de protection de la nature à Chambord, et il m’avait convié à faire un papier pour introduire un moment de la réunion. J’avais donc fourni ce papier historique qui a servi de cadre de réflexion.
Presque dix ans plus tard le directeur de Réserves naturelles de France, Jean Roland, qui était à ce séminaire, m’a envoyé un courrier me demandant de réactualiser cette chronique. Il m’expliquait que les associations gestionnaires de réserves naturelles avaient peu de connaissances sur l’histoire de la protection de la nature : leurs agents arrivaient de l’université sans ces références. Il voulait donc publier ce document dans un numéro spécial de la revue de RNF. Ce qu’il a fait.
En 2006 pour le 30ème anniversaire de l’adoption de la loi sur la protection de la nature j’ai organisé pour le ministère la Société française de droit de l’environnement (SFDE) avait organisé un séminaire-bilan plus juridique sur la loi de 1976, enfin la Ligue ROC avait de son côté organisé une discussion au Sénat sur la protection de la biodiversité. J’avais proposé à la SFDE et à la Ligue ROC de rassembler les Actes de ces trois événements dans un même ouvrage, et organisé une réunion avec toutes les parties prenantes pour y travailler. Avec Jérôme Fromageau qui venait au titre de la SFDE, nous attendions nos collègues en discutant et la conversation s’est conclue sur l’idée de prendre une initiative pour créer une association. J’ai monté un petit groupe de réflexion avec lui et quelques autres complices, dont Jean-Pierre Raffin et Roger Cans. On a réfléchi à ce que l’on voulait/pouvait faire et l’association a été créée en 2009. Elle associe, depuis, de jeunes chercheurs travaillant sur cette histoire et des praticiens comme moi. Je pensais qu’à la retraite j’écrirai un livre sur cette histoire. Finalement j’ai utilisé un autre vecteur : l’association…
Ce qu’on voulait faire partait du constat de Jean Roland mais dans un périmètre beaucoup plus large : ceux qui s’intéressent à la protection de la nature sur les deux rives, pour la soutenir ou pour s’y opposer, tous ces acteurs du temps présent n’avaient pas une culture très profonde des dimensions historiques de la protection de la nature, de ce qui avait été fait sur le plan institutionnel, scientifique, sur l’histoire des associations de protection de la nature, etc. Nous en faisions un constat collectif et nous exprimions l’idée que ne possédant pas ces éléments ça n’empêche pas d’agir mais c’est un handicap … L’AHPNE est donc née en 2009.
Intégrer le temps long à votre réflexion sur la protection de la nature vous rend-il optimiste ou pessimiste ?
Je suis ici en Auvergne, où je suis né. Il y a un hameau, une cour avec trois maisons, et un noisetier. En ce moment les écureuils viennent se ravitailler. J’ai eu la surprise, ce matin, de voir un faucon crécerelle faire des vols planés au-dessus de la cour. Il avait repéré un écureuil, et il essayait lui aussi de s’approvisionner, pas de noisettes mais d‘écureuil ! J’ai vu le manège du faucon crécerelle et de l’écureuil qui a pu fuir, finalement. Il n’est pas tombé dans les serres du faucon. Pour l’instant, match nul. Mort ne s’en est pas suivie… C’est la première fois que je voyais ça au milieu de maisons. Le faucon s’est même posé sur un bord de fenêtre : je me dis finalement que la biodiversité a des ressources.
Rien n’est perdu malgré les chiffres qui nous sont donnés, dont encore tout récemment le rapport mondial du WWF, Planète vivante. Malgré ce statistiques alarmantes il y a des éléments positifs : la nature a une certaine résilience en dépit des pressions que nous exerçons sur elle. Dès qu’on lève un peu le pied de ces pressions la nature se répare de façon assez rapide. Prenez le cas de la pollution du Rhin, en Alsace, par le fait de l’usine Sandoz à Bâle en 1986. Il y a eu énormément de dégâts pour les poissons et tout l’écosystème aquatique du Rhin. Mais quand le fait générateur a cessé il y a eu une reconquête rapide à partir des bras « morts » du Rhin et des autres milieux qui avaient été épargnés. Après quelque temps, la connexion entre ces zones épargnées s’est faite, et il y a eu une remontée biologique assez rapide. Dès qu’on laisse s’exprimer la nature elle peut reprendre ses droits assez rapidement. Le jardinier qui cesse de cultiver son jardin, ne serait-ce qu’une saison en sait quelque chose ! Ce qui me laisse penser que le combatn’est pas perdu, à l’inverse de la difficulté qu’on a avec le changement climatique.
Parallèlement à l’étude du WWF on a une autre étude qui montre que depuis 1993 une quarantaine d’ espèces menacées ont été sauvées. On cite quelques espèces emblématiques, cheval de Przewalski et quelques autres. C’est dissymétrique, évidemment, mais ça veut quand même bien dire qu’il y aurait des progrès possibles pour inverser partiellement les courbes et regagner en biodiversité.
Ce sont vos origines auvergnates qui vous ont conduit à une carrière de protecteur de la nature ?
Auvergnates, et paysannes ! Mes parents étaient de petits agriculteurs de Limagne, près de Riom. Après que le lycée agricole de Marmilhat, à Clermont-Ferrand, s’est ouvert en 1958, ils m’y ont envoyé pour y faire mes études, comme mon frère aîné. Nos parents ne voulaient pas nous voir partir tous les matins la musette sur le dos pour aller chez Michelin ! J’ai pris cet ascenseur social qui a contribué à vider les campagnes… Au lycée agricole j’ai été sensibilisé à la protection de la nature par un prof d’histoire-géo, qui nous initiait sur le terrain à la géomorphologie, à la géologie, à la botanique, à l’interpétation paysagère. Après mon bac agronomique j’ai envisagé un BTS de paysagiste, justemnt, mais j’ai appris que le lycée agricole Neuvic d’Ussel, ouvrait un BTS « protection de la nature » à la rentrée de 1970. J’ai annulé mon inscription en paysagisme et, encouragé par mes profs je suis parti à Ussel. Toute une aventure ! Pour la petite histoire, ce lycée était sur une liste noire de la direction de l’enseignement agricole : il devait fermer… mais il était dans la circonscription électorale d’un certain Jacques Chirac, qui venait d’être élu député. Il a pu obtenir du ministère de l’agriculture le maintien du lycée et l’ouverture de cette formation. Chirac était le parrain de notre promotion, il nous a tous accompagnés à la sortie et j’ai pu entrer au domaine national de Chambord. Ensuite les choses se sont enchaînées jusqu’à la direction de la protection de la nature du ministère de l’environnement où je suis arrivé en 1975…
De votre parcours au ministère de l’écologie, quel est le dossier que vous avez traité et dont vous êtes le plus fier ?
Natura 2000, sans aucune hésitation ! Mais quelle aventure ! Ca a été une révolution dans le renouvellemnt de l’approche de de la protection de la nature, à partir de la directive européenne “Habitats-faune-flore ». Il y a un “avant” et un “après” Natura 2000. Il a fallu énormément de conviction et de ténacité, notamment vis-à vis de nos opposants du “groupe des 9” pour faire finalement accepter cet outil nouveau. D’abord, comme je vous l’ai dit, à tous ceux qui pensaient : « encore un truc de plus ». Mais aussi aux associations de protection de la nature, qui privilégiaient volontier le réglementaire, qu’elles jugaient plus rassurant. Article 1 : il est interdit de… Article 2 : il est interdit de… Article 12 : dans certaines circonstances exceptionnelles, sous réserve de dérogation, il demeure possible de… Ces associations voyaient arriver cette notion nouvelle avec une grande méfiance. Mais les mesures contractuelles ventionnelles voulues par le ministre du moment, Michel Barnier, que nous mettions en place avec Natura 2000 avaient l’avantage d’impliquer un grand nombre d’acteurs différents, et s’inscrivait dans une dynamique vertueuse, non conservatrice, justement pour faire allusion à votre seconde question. La directive innove sur plusieurs concepts. La notion de « maintien dans un état de conservation favorable », reprise ensuite dans la Directive-cadre sur l’eau, est une innovation conceptuelle. Cet état doit être interprétée (c’est quoi, un « bon état de conservation » ?) et évalué périodiquement pour rectifier le tir, si nécessaire, mais c’est tout son intérêt ! La construction d’un réseau coordonné à l’échelle européenne en est une autre. Le recours au contractuel, plutôt qu’au réglementaire, même si celui-ci n’est pas exclu, est une innovation privilégiée par la France et j’admets qu’il a été difficile d’en convaincre la Commission européenne et nos autres partenaires. L’instauration de “documents d’objectifs” pour guider la gestion des sites, établi avec toutes les parties prenantes locales en est une autre. La différence entre le réglementaire et le conventionnel, c’est la même qu’entre le prêt-à-porter et la haute-couture. Y compris dans le fait que la haute-couture coûte beaucoup plus cher. Une loi, ça coûte le salaire du fonctionnaire qui la rédige et le prix de la procédure parlementaire pour l’adopter. Le conventionnel, c’est plus exigeant, c’est aussi donnant-donnant et ça requiert plus de moyens…
Il est encore possible de s’inscrire pour le colloque des 29 et 30 septembre ?
Vous ne manquerez pas d’indiquer le lien…
[C’est fait, au bas de cet article… NDLR]
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko