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Trois questions à Olivier Thibault, Directeur général de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage

ANES : la fusion de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) que vous dirigez, avec l’Agence française pour la biodiversité (AFB) pour créer l’Office français de la biodiversité (OFB) est en cours et devra être effective au 1er janvier 2020. Quels en sont pour vous les avantages et les risques ?

Olivier Thibault : déjà, je n’aime pas trop parler de « fusion ». Je préfère qu’on parle de création d’un nouvel établissement qui regroupe l’ONCFS et l’AFB. Ca peut vous paraître mineur, mais dans le premier cas on s’expose à des discussions sans fin sur qui avale qui, qui va gagner, etc. A l’inverse, quand on construit un nouvel établissement, on part d’une feuille blanche et il ne s’agît pas de savoir qui l’a emporté sur l’autre.

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On va passer de cinq structures (les quatre qui constituent déjà l’AFB et l’ONCFS) à une. On part d’une situation de multiplication d’établissements qui n’avaient plus une taille critique, d’une dispersion des acteurs dans un contexte global d’économie de moyens, de baisse des effectifs, et de rationalisation des dépenses. Or si l’on veut peser dans l’écosystème, il faut une taille critique, il faut une « marque » forte, et il faut des gens en ordre de marche sur les priorités que l’on affiche. Je pense que le nouvel établissement doit permettre de constituer cette marque forte. Et si l’on veut rester présents dans les territoires -et notamment dans les territoires ruraux- on ne peut pas passer en-dessous de dix agents par département… or on se rapprochait dangereusement de ce chiffre. Le fait de créer ce nouvel établissement va permettre de repasser en moyenne à 17 agents par département, donc de recréer une task-force locale dans les territoires  au service de nos missions de service public, la politique de l’environnement, la police,  l’expertise, etc. A 17 on fait beaucoup plus de choses qu’à 12 + 5. Cette taille critique, cet ancrage dans les territoires, la marque forte de l’établissement c’est extrêmement important.

Par ailleurs, du point de vue de l’ONCFS, le mot « chasse » est de plus en plus clivant, et cache d’une certaine manière, notamment pour le grand public, l’étendue de nos actions. Les gens qui ne nous connaissent pas bien ont l’impression qu’on ne parle que de chasse.

Il y a quand même plusieurs sujets de vigilance. En premier lieu, il faudra garder une implantation forte dans les territoires. Dans les grands établissements nationaux, il y a toujours une tentation du gouvernement ou des ministères de privilégier les sujets nationaux qui peuvent être un peu désincarnés, voire stratosphériques, et de s’éloigner des territoires. Il faut créer une task-force nationale sur tel ou tel sujet devenu subitement prioritaire, il faut 50 personnes, on va les prendre dans les territoires ruraux. En renouvelant l’opération deux ou trois fois on finit par déshabiller les territoires. Or la force de l’établissement c’est d’être présent dans les territoires, de connaître les territoires, d’avoir un pied dans les sujets locaux de façon à nourrir le niveau national. 

Deuxième sujet de vigilance : l’établissement travaillera sur la gestion et l’utilisation de la nature, la coexistence entre l’homme et la nature, l’homme et la biodiversité, donc sur les conflits d’usage dans les territoires. Il faut donc absolument garder un lien fort avec le monde de la chasse qui fait partie des usages majeurs dans ces territoires, et dont l’impact sur la biodiversité est fort. Et comme on n’aura plus la même présence des chasseurs dans le futur conseil d’administration que dans celui de l’ONCFS aujourd’hui, la tentation pourrait être de s’en éloigner plus vite qu’on ne le voudrait. C’est un vrai risque, parce que notre expertise aujourd’hui est basée sur le lien avec les chasseurs, sur les réseaux d’acquisition de connaissances, sur les comptages d’oiseaux, sur les mesures des tableaux de chasse, sur le suivi du paysage, les actions d’entretien des territoires. Si on perd ce lien on va perdre une quantité d’information et de connaissances  qui sera à l’avenir très préjudiciable. Les réseaux de connaissance partagée entre les associations de protection de la nature et les chasseurs sont un peu fragiles, mais si on plie bagage chacun repartira dans son coin et ce sera préjudiciable pour tout le monde. Tout le monde en est conscient, et pourtant, je connais même une association naturaliste qui repartirait bien toute seule de son côté, les chasseurs tout seuls de leur côté, chacun s’imaginant qu’il sera plus fort tout seul qu’avec les autres. Il faut y faire attention.

Néanmoins, le contexte est aujourd’hui favorable, sûrement plus qu’au moment de la création de l’AFB, qui a dû affronter beaucoup de vents contraires. Déjà le fait de ne pas mettre l’opérateur majeur chargé de la biodiversité terrestre dans l’organisme chargé de la biodiversité pouvait paraître un peu étrange. C’était une épine dans le pied dès le départ : la demande sociale adressée à l’AFB ne correspond pas aux compétences des agents qui le constituent. Le monde de la chasse était contre, le monde de la mer était très frileux, chacun s’est battu pour qu’on ne change pas trop, qu’on mette un nouveau nom mais en restant chacun dans son silo. Je trouve que l’environnement aujourd’hui n’est plus du tout le même : le monde de la chasse accepte désormais la création de ce nouvel établissement, le monde de la mer voit les avantages d’avoir un grand établissement chargé de la biodiversité marine et terrestre. Il y a donc aujourd’hui du sens à faire ce grand établissement chargé de la biodiversité et de la nature. C’est un grand changement et ça va permettre de créer une gouvernance avec des missions, avec une structure, qui correspondront plus au nom, qui correspondront aux compétences des agents, et qui vont permettre d’avancer.

ANES : la culture de l’ONCFS, très jacobine, vous paraît-elle compatible avec celle de l’AFB, plus diversifiée ? Et en particulier avec la constitution des Agences régionales de la biodiversité (ARB) ?

Olivier Thibault : L’ONCFS a toujours eu une culture d’établissement très forte. C’est une grande famille, avec des gens qui travaillent ensemble, qui se soutiennent, avec un passé, une histoire. Il faudra certes conserver ces liens dans le nouvel établissement, mais évidemment au service d’une nouvelle marque, dans un nouveau contexte. Mais on commençait aussi à ressentir un certain malaise lié à la différence entre l’image que nous portons auprès du grand public et ce que nous faisons vraiment. Etre toujours considéré comme des gardes-chasse, alors que vous faites de la police et de la politique de la nature et de l’environnement, ça finit par devenir fatigant ! Malgré une communication très active, nous passons encore beaucoup de notre temps à expliquer ce qu’est l’Office, à dire et à démontrer que ce n’est pas un corps de gardes-chasse mais bien un opérateur de la biodiversité terrestre à part entière. A cause de notre acronyme, nous sommes obligés de recommencer inlassablement, avec les journalistes la première fois que nous les rencontrons, avec les ministres successifs, les secrétaires d’Etat. Désormais nous aurons une opportunité d’avoir un nom et un établissement beaucoup plus en relation avec ce qu’on est. C’est positif et ça tire vers le haut nos agents.

Dans les territoires je ne suis pas très inquiet. L’ONEMA, l’une des composantes majeures de l’AFB, vient du Conseil supérieur de la pêche, qui a la même histoire que l’ONCFS dans le monde de la pêche. Leur culture n’est pas si différente que ça de celle de l’ONCFS. Dans le futur établissement vous aurez 1 700 inspecteurs de l’environnement sur 2 700 agents. Ces 1 700 inspecteurs ont quand même une culture qui est très partagée. Par contre entre le niveau national de l’OFB et le reste de la « boutique ONCFS », là on a de vraies différences de cultures, sur lesquelles il va falloir travailler. J’espère bien que nous allons construire une nouvelle famille avec une marque forte et une cohésion forte. C’est l’objectif en tout cas.

Pour ce qui est des ARB,  la difficulté pour nous c’est qu’elles sont très disparates. Dans certaines nous sommes déjà présents, très investis, et ça  va très bien se passer. D’autres sont des coquilles qu’il faut remplir. Dans certaines régions il n’y a rien parce que les conseils régionaux ne sont pas motivés. La difficulté va résider dans ce fonctionnement qui n’est pas très cohérent d’une région à une autre. A l’ONCFS nous fonctionnons avec des doctrines partagées au niveau national, construites à partir des territoires, et avec un socle minimal que nous défendons partout. Et je reste persuadé qu’on a besoin d’un socle minimal dans toutes les régions. Ca ne signifie pas que tout le monde doive s’aligner strictement, partout, sur les mêmes positions. Nous sommes jacobins, certes, mais nous savons nous adapter aux départements de montagne, aux départements littoraux, aux départements ultramarins, où les actions en sont pas du tout les mêmes. Mais c’est vrai que nous communiquons et partageons beaucoup au niveau national les postures de l’établissement. Ca fait partie des vrais choix de gouvernance à construire. Il faut d’abord créer une marque forte : avoir une signature commune, des grands enjeux visuels et visualisables au niveau national sur l’ensemble de l’implantation du futur établissement. Ca passe forcément par un système un peu jacobin quand même ! A côté de ça, il ne faut pas empêcher les initiatives locales d’émerger, il faut être à l’écoute de ce qui remonte des territoires. C’est cette dynamique qu’il faut réussir à enclencher et à faire vivre. Mais c’est aussi un peu le sujet de l’AFB aujourd’hui : la mobilisation citoyenne est finalement très jacobine à l’AFB, quand les ARB sont très girondines avec des systèmes décentralisés qui peuvent être très différents les uns des autres. Trouver le juste équilibre entre ces aspects nationaux et locaux, c’est un vrai sujet de la gouvernance à construire et l’un des enjeux majeurs du nouvel établissement.

ANES : la place de la chasse dans le nouvel établissement est un sujet de préoccupation tant pour les chasseurs que pour leurs opposants. Comment voyez-vous la « juste place » du monde de la chasse ?

Olivier Thibault : quoiqu’en pensent certaines associations de protection de la nature, les chasseurs ont un rôle essentiel dans la lutte contre l’érosion de la biodiversité dans les territoires. Les chasseurs entretiennent les territoires, peuvent impacter ces territoires par leurs pressions de chasse. Si vous supprimez la chasse dans les départements littoraux, vous perdrez aussitôt de nombreux oiseaux migrateurs parce que les zones humides seront comblées et transformées en champs de maïs ! On peut être droit dans ses bottes  et se dire contre la chasse, si on ne se donne pas les moyens d’entretenir ces territoires on a plus à perdre qu’à gagner. Il faut apprendre à vivre avec tous les usages, et l’usage « chasse » dans les territoires est incontournable, en positif comme en négatif. Notre ambition c’est de garder l’homme dans les territoires, de faire vivre ensemble l’homme et la nature et dans ce cadre il faut travailler avec tous les usages de la nature, dont la chasse. La chasse doit donc garder une place forte dans le système, tout comme les associations de protection de la nature. Il ne faut du reste pas les opposer : quand on regarde les actions  des associations et des chasseurs, ce sont quand même 80 % de problèmes communs : sur l’artificialisation des sols, sur l’industrialisation de l’agriculture, sur la déprise agricole, sur l’entretien du territoire, sur les haies, sur les fascines, sur les bandes enherbées, sur les cours d’eau… Dès que les gens réfléchissent un peu ils arrivent à se mettre d’accord… même si de part et d’autre on mobilise plus facilement les adhérents en s’opposant qu’en construisant des solutions communes. Je crois beaucoup au fait que quand on arrive à mettre tous les acteurs autour d’une table ave des missions précises on arrive à trouver une solution. Il y aura toujours des associations de protection de l’environnement dogmatiquement contre le principe même de la chasse, celles-là je ne suis pas sûr qu’on arrivera à les faire travailler constructivement avec les chasseurs, quelle que soit la structure. Et il y a chez les chasseurs quelques extrémistes qui le resteront… Mais le fait de les faire asseoir ensemble c’est déjà 80 % du chemin parcouru. Ce sera notre objectif dans le nouvel établissement : mettre sur la table les vraies difficultés pour ensuite construire les solutions.

En outre, il ne faut pas se contenter de regarder les façades nationales. Au niveau local il y a plein d’endroits où les chasseurs travaillent avec la LPO locale, avec la FRAPNA, pour des entretiens de territoires conduits en commun, voire des gestions en commun : le lac du Der est géré en commun par la LPO et la fédération des chasseurs. Il y a les postures nationales, et dans la vraie vie, quand les gens se connaissent ils travaillent sur leur territoire. 

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Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko