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Trois questions à Roberto Epple, Président d’European rivers network (ERN)

ANES : 2019 est l’année internationale du saumon. C’est une thématique qui paraît très mobilisatrice en Amérique du nord, mais très peu en Europe. Pourquoi l’Europe ne s’intéresse-t-elle pas au saumon ?

Roberto Epple : en Amérique du nord, le saumon constitue un enjeu économique, ce qui n’est malheureusement plus le cas en Europe en-dehors des élevages. C’est une première explication. La deuxième et sans doute le manque de structuration des ONG à l’échelle européenne. Plus largement, nous ne parvenons pas à nos organiser en tant qu’Européens. Il n’existe pas, par exemple, de véritable structure européenne représentative de la pêche. Il y en a, mais elles ne sont pas suffisamment puissantes, elles n’ont pas un poids politique significatif. Les organisations qui comptent sont encore nationales. C’est en train de naître mais on est très loin du but, très loin d’actions communes des pêcheurs à l’échelle européenne, par exemple ! 

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C’est d’autant plus regrettable que la situation du saumon reste extrêmement préoccupante.  En dépit de quelques succès locaux, la tendance au déclin n’est pas stoppée, au contraire. En France, on a réussi à ralentir l’effondrement des populations, mais on n’arrive pas à inverser la tendance. Les facteurs sont multiples, certains sont vraisemblablement liés au changement climatique, qui affecte notamment la vie des saumons dans sa phase marine. En fait, on ne sait pas très précisément ce qui se passe en mer pour les saumons. Il faut bien sûr procéder à des études scientifiques pour comprendre mieux ces phénomènes… mais cela ne doit pas servir d’alibi pour ne pas agir sur les facteurs que l’on connaît, sous prétexte qu’on ne sait pas tout ! Certaines théories émergent : on pense qu’en raison de la modification des températures marines, les stocks de ressources alimentaires que consomment les saumons s’amenuisent, ou à tout le moins se déplacent, ce qui peut perturber les déplacements des saumons eux-mêmes. Il y a d ‘excellents programmes de recherche en cours, bien que ces sujets ne soient pas très faciles à explorer : en mer, ce n’est pas évident de savoir où sont les saumons ni comment ils se comportent ! 

Mais il ne faut surtout pas en conclure que les actions conduites sur les rivières sont inutiles. Chaque acte qui va dans le bon sens renforce la résilience des espèces et des écosystèmes. Tout ce que nous faisons est susceptible d’aider les espèces à mieux traverser cette crise de la biodiversité, cette crise de la vie, que nous connaissons.

En outre, nous ne devons pas être victimes de notre propre succès et du fait d’avoir choisi le saumon comme symbole. Le saumon ne sera pas le seul à bénéficier d’une rivière en bon état écologique ! Nous avons centré depuis 30 ans nos campagnes sur le saumon. Ca a marché au point que tout le monde aujourd’hui ne parle que du saumon… au risque d’oublier les autres espèces. Or le saumon n’est que le sommet de la pyramide. Il ne faudrait surtout pas oublier… la pyramide ! Restaurer les continuités écologiques sur les rivières, c’est accroître les chances de survie de toutes les espèces de la pyramide. L’action sur les rivières relève du niveau national, l’action en mer du niveau international : il faut conduire les deux simultanément.

ANES : êtes-vous optimiste sur l’évolution de l’état des rivières en Europe ?

Roberto Epple : l’excellente directive-cadre « eau » a permis d’avoir un thermomètre commun en Europe. C’est un élément important : on peut justifier, quantifier, objectiver partout de la même façon l’état des rivières. Elle a permis de partager un diagnostic, qui était à l’époque catastrophique, et de fixer un objectif (le bon état écologique des rivières en 2015) qui, même s’il n’a pas été atteint, a permis d’avancer de façon très positive. Ce constat me rend plutôt optimiste, d’autant que les rivières font partie des écosystèmes qui ont une importante capacité à se renouveler. Elles ont un potentiel énorme et peuvent se restaurer très rapidement dès lors que les conditions sont réunies. On a commencé depuis 30 ans à travailler activement à la restauration des rivières, et incontestablement les premiers résultats sont là. Ca ne veut pas dire que tout est gagné, évidemment. La question des métaux lourds est toujours là, et sans doute pour longtemps.

ANES : vous avez reçu le prix EuroNatur 2018, après des personnalités comme Mikhaïl Gorbatchev ou Nelson Mandela. Que représente ce pris pour vous ?

Roberto Epple : j’en suis évidemment très  fier parce que cela marque une forme de reconnaissance de ce que nous avons fait. Je dis bien « nous » !  Les actions auxquelles j’ai participé ou que j’ai pu mener, sur le Danube ou la Loire par exemple, ont été des actions collectives et citoyennes. J’ai été très touché par une phrase qui a été prononcée lors de la remise du prix : « sans ces actions, le paysage européen des rivières ne ressemblerait pas à ce qu’il est ». Ce qui a pu être sauvé à travers ces actions, montre que ces combats n’ont pas été conduits en vain. Même si nous avons essayé de le faire de la façon la plus professionnelle possible, nos actions étaient avant tout des actions citoyennes. Depuis 30 ans, nous sommes les « gilets bleus », des citoyens mobilisés dans un objectif : sauver les rivières d’Europe.

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Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko