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Trois questions à Jonathan Lenoir, Docteur Ingénieur en Sciences Forestières, Chargé de recherche CNRS, unité de recherche EDYSAN, Université de Picardie Jules Verne.

ANES : Vous êtes co-auteur d’une étude sur les conséquences de la « Grande accélération » sur les sommets montagneux. Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène ?

Jonathan Lenoir : Le terme « Grande accélération » fait référence à l’évolution de différents indicateurs – socio-économiques, atmosphériques, biologiques, etc. – utilisés pour mesurer l’impact des activités humaines sur le fonctionnement global du système terrestre au sens large. L’ensemble de ces indicateurs mettent en évidence une accélération : les températures, par exemple, témoignent d’une accélération du réchauffement de la planète. L’indicateur CO2 montre une accélération des émissions de carbone au fil du temps, etc. Cette Grande accélération est la signature de l’anthropocène, l’aire géologique actuelle qui se caractérise par de très forts impacts humains.

ANES : Qu’avez-vous constaté sur les sommets de montagne ?

Jonathan Lenoir : Notre étude s’est intéressée à un indicateur biologique de la Grande accélération : l’évolution du nombre d’espèces de plantes présentes au sommet des montagnes. On constate en suivant dans le temps cet indicateur sur une montagne donnée, qu’il y a une accélération de l’augmentation de la biodiversité au niveau des sommets, notamment en Europe où se sont concentrées les recherches. Beaucoup de nouvelles espèces gagnent des hauteurs où elles n’étaient pas présentes auparavant depuis les étages inférieurs. Elles colonisent ces milieux, sans que les espèces qui étaient déjà présentes disparaissent. A l’heure actuelle, il n’y a pas de compétition délétère entre ces dernières et les nouvelles-venues : il n’y a pas d’extinction avérée d’une espèce alpine endémique d’un sommet de montagne. Mais on peut craindre qu’à terme, si le réchauffement climatique continue sur sa lancée, l’accélération conduise à une saturation d’espèces sur les sommets. Les espèces les plus compétitrices des étages inférieurs pourraient supplanter les espèces alpines. On est donc face à une « fausse bonne nouvelle » : ce qui semble être aujourd’hui une augmentation de la biodiversité sur les sommets pourrait en fait se transformer en perte de diversité… La particularité de cet indicateur de la Grande accélération, c’est qu’il représente des écosystèmes écartés des activités humaines. Les sommets de montagnes sont peu ou pas occupés par l’homme, qui n’impacte donc que très faiblement leur milieu de façon directe. Mais les conséquences de changements plus globaux, notamment climatiques, y sont par contre beaucoup plus visibles qu’ailleurs. C’est très trompeur car, à l’échelle des zones tempérées comme la France, on n’observe finalement pas de bouleversement majeur lié au dérèglement climatique. Ce sont les zones reculées, par exemple l’Arctique, qui en font le plus les frais.

ANES : Aujourd’hui, pensez-vous que climat et biodiversité puissent être dissociés l’un de l’autre sur le plan des politiques gouvernementales ?

Jonathan Lenoir : Ils ne sont pas dissociables, dans le sens ou la biodiversité répond au changement du climat, et le climat répond aussi au changement de biodiversité. On dit souvent que c’est parce que le climat évolue que des espèces s’éteignent ou se déplacent, mais en fait le déplacement de certaines espèces entraîne, rétroactivement, une aggravation du réchauffement. La disparition de la glace ou de la neige va entraîner une colonisation par les ligneux et donc une diminution d’albédo, c’est-à-dire de réflexion de la lumière solaire par la surface neigeuse ou glacée. Or l’albédo impacte directement le changement climatique : moins il y a de rayons lumineux réfléchis, plus l’énergie est absorbés par les végétaux, créant une augmentation de la température et contribuant donc au réchauffement climatique. Climat et biodiversité sont donc forcément liés, et ce n’est pas forcément les modalités du premier qui induit celles de la seconde. On donne beaucoup d’importance aux impacts du changement climatique sur le plan législatif, alors qu’en fait la société des hommes sera affectée beaucoup plus directement par les changements de biodiversité, tels que pertes ou déplacements d’espèces. Un exemple parmi d’autres : les ressources piscicoles. Quand des bancs de poissons changent complètement d’aire de distribution, cela modifie l’accès à la ressource et créé des impacts économiques terribles. La biodiversité, c’est ce qu’on respire et ce qu’on mange. Je pense qu’on n’en a pas encore assez conscience.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Pouchain

Lire l’étude en anglais

Le site Internet de Jonathan Lenoir