Trois questions à Arnaud Collin, directeur de Réserves Naturelles de France (RNF)
ANES : RNF vient de faire approuver par l’Europe un nouveau projet LIFE visant à intégrer les enjeux climatiques dans la gestion des espaces naturels. En quoi ces derniers sont-ils impactés par les bouleversements du climat ?
Arnaud Collin : On a pris conscience assez récemment qu’il y avait des signaux clairs montrant l’évolution du climat dans les réserves naturelles, aussi bien sur le littoral Atlantique, qu’en forêts ou en montagne, notamment avec la question des taux d’enneigement annuel, mesurés en baisse depuis des décennies. Les répercussions de ces indicateurs commencent à devenir importantes. On le voit bien sur le littoral, avec les évènements climatiques majeurs et la montée des eaux. De façon indirecte cela bouleverse aussi les activités touristiques qui, à leur tour, ont des répercussions sur les réserves naturelles. Ainsi, pour le tourisme de montagne, du fait d’une diminution de la période d’enneigement, certaines communes, dans leurs plans touristiques, font un report de l’activité vers les réserves naturelles pendant le printemps et l’été, ce qui créé donc une incidence plus importante en terme de fréquentation. Les gestionnaires de réserves naturelles vont donc être contraints, de plus en plus, à adapter leur gestion. Il y a des grandes questions qui se posent. Comment offrir des espaces de liberté et d’expression à la biodiversité, et notamment aux espèces, dont la distribution est en train d’évoluer face au changement climatique ? Comment réagir lorsqu’une réserve naturelle est impactée par les décisions d’adaptation des acteurs (notamment le secteur du tourisme) de son socio-écosystème, c’est-à-dire de l’environnement immédiat qui l’entoure ? Il faut se demander si on peut rester dans une logique de périmètre constant pour une réserve naturelle ou de modification, voire, pour le cas des réserves littorales qui s’érodent, de l’extension, de celui-ci. Et dans le cadre du changement climatique, il faut identifier quels pourraient être les futurs espaces protégés : où les placer au mieux dans le réseau existant, et comment les connecter entre eux, afin que les espèces évoluent librement et que les services écosystémiques soient préservés.
ANES : Quelle méthodologie ce projet LIFE propose-t-il pour que les gestionnaires de réserves naturelles s’adaptent à ces nouvelles conditions ?
A.C : Ce projet va expérimenter des méthodologies qui sont à construire et qui pourront s’adapter aux réserves naturelles, mais aussi aux autres espaces naturels protégés. Deux grands outils vont être déployés : le premier concerne les diagnostics de vulnérabilité. Comment mettre en évidence les priorités de travail, les composantes des réserves qui sont le plus sujettes à évolution face aux effets du changement climatique ? Pour ça, on va s’aider de méthodologie étrangères, le plus souvent anglo-saxonnes, qui n’ont pas encore fait l’objet de traduction et d’expérimentation en France. Il y aura donc dialogue et échange avec l’étranger. RNF a demandé au Muséum national d’Histoire naturelle, qui est partenaire du LIFE, de faire une synthèse des méthodologies de diagnostic de vulnérabilité existantes et d’en déduire une méthodologie adaptée aux besoins français avec les gestionnaires de six réserves naturelles pilotes. Elle sera expérimentée sur deux ans. Le deuxième outil, à partir des conclusions des diagnostics de vulnérabilité, vise à aider les gestionnaires à développer leurs « plans d’adaptation » au sein de leurs plans de gestion. Il s’agira d’une série de mesures qui s’inscrivent dans l’adaptation des espaces naturels protégés aux évolutions climatiques. Il y aura de l’innovation, mais on aimerait voir émerger une nouvelle vision du territoire, moins statique, afin que les gestionnaires adaptent également les mesures de gestion actuelles, de manière à ce qu’elles prennent en compte ces enjeux. Afin que la communauté de gestionnaires et d’experts puisse se former à la gestion adaptative sur la base de nos résultats, il y aura publication de guides, accessibles sur Internet. Mais on souhaite aller plus loin en utilisant les nouvelles technologies : pour cela, on va travailler avec Tela Botanica, qui développe des outils informatiques d’animation de communautés de gestionnaires et de formation « e-learning », sur les thématiques mentionnées. Pour conclure, je dirai que ce projet, qui a le soutien du Ministère de la Transition écologique et solidaire et de l’Agence Française pour la Biodiversité (AFB), est à ce jour le seul au monde à se pencher sur la gestion adaptative…
ANES : La Commission Européenne vient de proposer d’augmenter de près de 60% les financements des programmes LIFE. Pensez-vous que le budget alloué à la protection de l’environnement en France suive cette tendance encourageante ?
A.C : Cette augmentation de 60% du budget LIFE est salutaire, mais après, il faut réussir à mobiliser ces financements… La Commission Européenne co-finance à 60%, ce qui fait que 40% restent à trouver… Concernant le budget de la France pour la protection de l’environnement, il est clair qu’aujourd’hui, les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux. On pensait que la création de l’AFB permettrait la mobilisation de moyens supplémentaires et la mise en place de nouvelles mesures, mais ce n’est pas le cas pour l’instant. Il y a même un effet inverse pénalisant pour les espaces naturels protégés, les plans de gestion sont difficilement mis en place. Nous attendons de connaître les propositions de Nicolas Hulot dans son futur plan biodiversité. Nous espérons qu’il pourra négocier avec ses partenaires gouvernementaux une enveloppe exceptionnelle et des mesures pérennes pour la suite.
Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain