Trois questions à Pascal Coquet, président de la Commission coquille Saint-Jacques au Comité national des pêches.
ANES : L’Ifremer a communiqué les chiffres des stocks de coquilles Saint-Jacques en Baie de Seine et en Baie de Saint Brieuc : respectivement 63 600 tonnes et 48 400 tonnes de biomasse. Il s’agit d’un record. Qu’est-ce qui explique cette excellente situation ?
Pascal Coquet : Je pense que ce sont les températures qui ont fait pousser les coquilles plus vite que prévu par l’Ifremer. Mais surtout, depuis le début des années 2000, des mesures de gestion ont été mises en place pour protéger les stocks. Pour toute la façade Hauts-de-France et Normandie, on ne s’autorise à pêcher qu’un quota par jour, c’est-à-dire entre 1,5 tonnes et 2 tonnes, avec des bateaux de maximum 16 m dans les gisements côtiers. Par ailleurs, on n’effectue que quatre sorties par semaines, et on ne peut pas dépasser un certain nombre d’heures de travail par jour. Donc on ramène 8 tonnes par semaines, ce qui fait que sur un gisement de 63 600 tonnes en Baie de Seine, on ne va prélever au maximum que 25 000 tonnes. Comparativement, avant, il n’y avait pas de quotas. On pêchait ce qu’on voulait, et surtout ce qu’on pouvait ! Mais ce constat est à relativiser : il s’agit de mesures nous ayant permis de protéger notre zone économique exclusive (ZEE), c’est-à-dire de nos côtes jusqu’à 12 milles marins. Au-delà de ça, il y a de moins en moins de coquilles, pour ne pas dire qu’il n’y en a plus. D’ailleurs, la génétique a prouvé que ce qui alimentait encore la Manche en coquilles, c’est le stock de la Baie de Seine !
ANES : Les différences de législation entre la France et l’Angleterre concernant la pêche à la coquille Saint-Jacques, qui ont récemment conduit à des heurts en pleine mer, sont-elles un facteur qui pourrait mettre les stocks en péril au long terme ?
P.C : Oui, justement, c’est ce qui fait qu’au-delà des 12 milles marins, il y a de moins en moins de coquilles. Côté Français, on ne travaille pas plus de 12 heures par semaine, contrairement à nos homologues anglais qui pêchent 24/24h et sans quota. Ils utilisent de très gros bateau et ne visent que des productions industrielles. Résultat, dans la Manche au-delà de nos 12 milles marins, il n’y a que 7800 tonnes de stocks ! Tout a été pillé. Quand nous nous arrêtons au mois de mai pour les laisser les coquilles se reproduire et pousser, eux continuent tout l’été. Au dernier Conseil Européen, à Dublin, nous avons décidé de créer un focus groupe pour la coquille Saint-Jacques afin de pouvoir coopérer avec les Anglais même en cas de Brexit. Il faut se mettre d’accord sur beaucoup de choses, mais c’est loin d’être gagné : pour l’instant, nous ne sommes d’accord sur rien. Ils ne sont pas prêts à respecter les calendriers pour laisser les coquilles se reproduire.
ANES : Certaines espèces surexploitées, comme le thon rouge, ont vu leurs stocks s’effondrer, puis se reconstituer à l’aide de mesures de gestion, avant que les quotas soient à nouveau revus à la hausse, provoquant l’inquiétude des spécialistes. Une telle situation est-elle à craindre pour la coquille Saint-Jacques ?
P.C : Non.Au lieu de dire « les stocks vont bien, on peut relever les quotas », on s’abstient. On est contraint par des autorisations de pêche et on fixe des contingents : en baie de Seine, pas plus de 220 licences. Aujourd’hui, on a 100 demandes de licences en plus, qu’on n’octroiera pas. Ces pêcheurs vont devoir sortir de la ZEE pour exercer… là où il n’y a presque plus de coquilles. On a aussi un certain nombre de mesures techniques contraignantes : en Manche Est, les engins utilisent des anneaux de drague de 92 mm (au lieu de 72 mm par le passé), ce qui permet de laisser passer les coquilles trop petites. Les Bretons vont même passer à 97 mm. On trie au fond au lieu de trier sur le pont. Toutes ces mesures, qui sont votées par les marins pêcheurs eux-mêmes, ont vocation à préserver les stocks au long-terme ! On espère juste que le prix de la coquille ne baissera pas, pour qu’on continue à pêcher moins tout en gagnant notre vie. Le problème, c’est que cette année, il y a de la coquille Saint-Jacques partout dans le monde, pas qu’en France. Cela risque de poser quelques problèmes de tarification…
Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain