Trois questions à Gilles Kleitz, Directeur du Parc amazonien de Guyane
ANES : Dix ans après la création du Parc amazonien du Guyane (PAG), quel bilan tirez-vous de son action ?
Gilles Kleitz : Depuis 2007, le PAG a conduit 350 projets en partenariat ave les 4 communes qui ont adhéré à la Charte du Parc, et investi près de 20 millions d’euros, dont 14 M € pour des actions de développement économique, social et culturel, et 6 millions pour des missions scientifiques et pour l’acquisition de connaissances. Plus encore que les autres parcs nationaux, le PAG place le développement local au coeur de ses missions, en concertation avec les habitants. Nous accompagnons les porteurs de projets, nous dispensons des formations ciblées sur les besoins particuliers des territoires (sur la filière forêt-bois par exemple, ou sur l’agriculture durable, ou encore sur le tourisme et en particulier le guidage en milieu amazonien), nous apportons aussi un soutien aux communes en matière de financement, d’ingénierie, ou d’assistance à maîtrise d’ouvrage. Notre équipe dédiée au développement local compte une vingtaine de professionnels. Mais nous devons veiller à l’équilibre de nos missions : non seulement le développement n’est pas incompatible avec la protection de la biodiversité, mais il en constitue un levier ! Je voudrais citer l’exemple de la Saül, une commune de 150 habitants dans le canton de Maripasoula, qui subissait de plein fouet, il y a encore quelques années, les dégâts liés à l’orpaillage illégal. Nous sommes parvenus à éradiquer l’orpaillage sur le territoire de la commune, nous avons contribué au développement d’une filière éco-touristique, 70 km de sentiers et de layons ont été aménagés, aujourd’hui Saül accueille plus de 5 000 visiteurs par an – dont la présence contribue à contenir l’orpaillage illégal- et la commune a changé de visage.
Au cours de ces années, le Parc a aussi conduit des missions scientifiques d’acquisition de connaissances, plus de 50 000 données naturalistes ont été versées à l’inventaire national du patrimoine naturel. A l’occasion de la mission conduite sur le mont Itoupé par exemple, 3 500 espèces ont été décrites, dont plusieurs dizaines étaient jusque-là inconnues des scientifiques.
Enfin, nous avons comme tous les parcs nationaux une mission de sensibilisation et de diffusion de l’information. Chaque année 3000 personnes sont touchées par les animations proposées par le parc, seul ou avec des partenaires. Parmi ces personnes, beaucoup de scolaires bien sûr, mais pas seulement.
ANES : Malgré le succès enregistré à Saül, le point noir reste l’orpaillage illégal. Pourquoi ne parvient-on pas à le résorber, en dépit des moyens qui sont affectés à cette mission ?
Gilles Kleitz : En effet, il y a une centaine de sites d’orpaillage illégal sur le territoire guyanais, ce chiffre était quasiment identique à la création du Parc. Il y a plusieurs explications à cela. D’abord, la longueur des frontières terrestres avec le Brésil et le Suriname, plusieurs centaines de kilomètres qui rendent ces frontières très poreuses et difficiles à surveiller. Ensuite, les moyens qu’il faudrait déployer au sein des services de police pour intervenir sur tous ces sites sont considérables, et nous ne disposons clairement pas de ces moyens ! Au Parc, nous ne sommes qu’une vingtaine d’inspecteurs de l’environnement… Et enfin, nous devons tenir compte des politiques qui sont conduites chez nos voisins. Au Brésil, l’armée et la police ont pour politique de tirer sur les délinquants. C’est une pratique violente, mais efficace ! Pour notre part, nous sommes attachés aux procédures qui garantissent les droits de chacun, délinquants compris. Mais si pour auditionner une personne arrêtée il faut l’emmener au commissariat, que ce commissariat est implanté à une heure et demie d’hélicoptère du lieu d’arrestation, et qu’il y a plusieurs milliers de personnes à interpeller, ça devient franchement difficile ! A l’inverse du Brésil, le Suriname a une politique extrêmement laxiste : en échange d’une taxe plus ou moins officielle, la police s’abstient de réguler les barges sur le fleuve. Cette frontière-là est une source inépuisable de garimpeiros, les travailleurs de l’orpaillage clandestin.
ANES : Quels sont les objectifs du Parc pour les dix années à venir ?
Gilles Kleitz : D’abord, contribuer à faire du sud de la Guyane un territoire prospère, dans lequel les talents locaux puissent s’épanouir, où le tourisme responsable trouve toute sa place culturelle et économique, où les filières économiques soient structurées et opérationnelles. Ensuite, nous devons contribuer à corriger les insuffisances, les faiblesses dans la prise en compte des droits des peuples autochtones de ce territoire. La mise en place du Grand conseil coutumier, prévue par la Loi sur l’égalité réelle dans les outremers adoptée au début de cette année, devra évidemment y contribuer. Enfin, nous devrons nous montrer exemplaires dans l’action scientifique que nous déployons en matière de connaissance et de conservation. Mais il est bien évident que pour atteindre ces trois premiers objectifs, nous devons en viser un autre, qui est de parvenir enfin à contenir fortement l’orpaillage illégal. Si dans dix ans nous avons réussi à diviser par trois le nombre de sites, nous aurons créé des conditions favorables pour déployer toutes nos actions. Au-delà des dix prochaines années, j’aimerais que dans 50 ans la forêt amazonienne dont nous avons la charge soit préservée, grâce à nos efforts et à ceux de notre voisin immédiat, le parc national brésilien Montanhas do Tumucumaque..
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko