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Trois questions à Géraud Guibert, Membre de la commission d’évaluation du CETA, président de La Fabrique Ecologique

ANES : La « commission d’évaluation du CETA », chargée par le gouvernement d’évaluer les aspects environnementaux et sanitaires de l’Accord économique et commercial global (CETA-Comprehensive economic and trade agreement) conclu entre l’Union européenne et le Canada, vient de rendre son rapport, qui indique que l’application de l’accord sera « légèrement défavorable » en matière environnementale. En quoi sera-t-elle défavorable ?

Géraud Guibert : Soyons précis : nous avons écrit que l’application du CETA serait « légèrement défavorable » pour ce qui concerne les effets sur le changement climatique, pas sur l’environnement au sens plus large, qui pose d’autres questions.
En matière de climat, ce traité qui vise à faciliter les échanges entre le Canada et l’Union européenne entraînera, par construction, une augmentation du trafic international, maritime principalement, donc mécaniquement une hausse des émissions de gaz à effet de serre. Il est très difficile de quantifier précisément cette augmentation et la commission, constituée en juillet, n’a eu ni le temps ni la méthodologie pour le faire. Mais cet accroissement est certain.
Or, aussi curieux que cela puisse paraître, le traité ne fait qu’une mention très vague et indirecte de ce sujet. Le CETA a pourtant continué à être négocié à un moment où la France déployait d’importants efforts diplomatiques sur cette question du climat, en vue notamment de la COP 21. Nous avons pointé cette lacune du traité, qui nous paraît très gênante et même paradoxale dès lors que l’enjeu, notamment économique, de la lutte contre les changements climatiques est majeur et qu’il y a urgence.

ANES : Vous mentionnez d’autres risques environnementaux…

Géraud Guibert : Pas seulement environnementaux. Certains sujets que nous avons pointés se situent à l’interface entre l’environnement, l’alimentation et la santé. C’est par exemple le cas du commerce de viande. En Europe, nous ne consommons pas de bœuf aux hormones. Le traité mentionne que le bœuf que le Canada exportera vers l’Europe devra provenir de filières exemptes d’hormones, ce qui est positif. Mais la confrontation de notre modèle agricole avec le modèle canadien, beaucoup plus intensif et industrialisé, exercera nécessairement une pression en vue d’une agriculture plus industrielle, alors qu’il serait sage d’aller vers un modèle plus extensif et durable.
Il en va de même pour l’emploi des farines animales dans l’alimentation du bétail, qui n’est pas prohibée au Canada. Ce point est révélateur d’une autre source d’inquiétude : les Canadiens n’ont pas la même compréhension que nous du principe de précaution. Pour prohiber une substance il faut, pour eux, que la preuve scientifique de sa nocivité soit apportée, alors qu’à nos yeux, des présomptions suffisent pour prendre des mesures.
Un autre point du traité est très discuté. Ce texte institue entre le Canada et l’Union européenne un Forum de coopération réglementaire. En clair : avant d’adopter une nouvelle réglementation au Canada ou en Europe, une nouvelle réglementation devra faire l’objet d’une concertation entre les deux parties. Qu’en sera-t-il des nouveaux OGM qui feront leur apparition sur le marché ? Si l’Europe envisage de les interdire, la pression des intérêts canadiens, publics ou privés, pourrait constituer un frein pour le faire, ou conforterait ceux qui, en Europe, voient d’un très bon œil un modèle agricole inféodé aux OGM…

ANES : La Commission a-t-elle pu imaginer des moyens de limiter ces risques, maintenant que le traité est signé ?

Géraud Guibert : Oui. Nous proposons que, si nécessaire, certains points du CETA soient renégociés, notamment pour y inclure la donnée climatique. A défaut, nous préconisons la négociation d’un traité bilatéral distinct entre le Canada et l’Union européenne, sur cette question du climat.
Sur les autres points, et notamment sur le fonctionnement du Forum de coopération réglementaire, nous proposons d’instaurer une transparence totale sur les enjeux et les positions respectives des gouvernements. Les lobbies s’accommodent de la pénombre et de la discrétion, si les discussions sont conduites au grand jour, les opinions publiques pourront se faire entendre.
Mais il faut être clair : notre commission arrive un peu après la bataille… On peut corriger à la marge certaines imperfections du traité, mais il est regrettable que tous ces points n’aient pas été intégrés, en amont, dans la négociation.

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko