3 question à Henri Jaffeux, Président de l’Association pour l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement (AHPNE), à l’occasion du 3e colloque de l’association.
ANES : l’AHPNE organise à Paris les 31 janvier et 1er février un colloque intitulé « Sales bêtes – mauvaises herbes : nuisibles, une notion en débat ». Pourquoi une telle rencontre alors que la notion de « nuisible » vient justement de disparaître du Code de l’environnement ?
Henri Jaffeux : nous travaillons sur cette thématique des « nuisibles », en vue de l’organisation de ce colloque, depuis plus de deux ans. Initialement nous avions prévu d’inscrire cet échange dans le cadre de la Birdfair que la LPO organisait à Paimbœuf. Malheureusement la Birdfair n’a pas été pérennisée, mais nous avons décidé de conserver ce sujet, qui nous paraît aller bien au-delà d’une question sémantique : il engage la réflexion sur la cohabitation –et dans certains cas la concurrence !- entre l’homme et les espèces avec lesquelles il partage son territoire. Si nous avions pu tenir cet échange plus tôt, il aurait peut-être pu éclairer les débats parlementaires au moment de la discussion de la loi « biodiversité », mais même si les mots ont changé dans les codes, même si l’on ne parle plus juridiquement de « nuisibles » mais d’espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts », l’intérêt du sujet demeure ! Il concerne évidemment des groupes socio-économiques –les professionnels du pastoralisme, les agriculteurs au sens large, les forestiers…- mais plus largement chacun-e d’entre nous : il suffit d’avoir croisé la route d’un moustique-tigre, ou d’avoir des taupes dans son jardin, pour s’en convaincre ! Les urbains ne sont pas dispensés de s’intéresser à la question : la gestion des rats dans Paris en est une illustration éclatante !
ANES : l’AHPNE est une association dont le but est d’étudier l’histoire de la protection de la nature. L’angle de ce colloque sera donc principalement historique ? Y’a-t-il en en amont, au sein de l’association des travaux de recherche en histoire autour de cette notion de « nuisibles » ?
Henri Jaffeux : non. L’étude de l’histoire de la nature et de sa protection sert –entre autres- à éclairer les débats du présent. La thématique des « nuisibles » relève de beaucoup de disciplines scientifiques, pas seulement de la biologie et de ses déclinaisons. Les sciences humaines y ont évidemment toute leur place, puisqu’il s’agît en fait d’étudier la place que l’homme s’octroie dans la nature, dans ses relations avec le reste du vivant. Et à cet égard, la dimension historique est évidemment particulièrement éclairante. Je ne saurais pas dire à quel moment le mot de « nuisible » en tant que tel est apparu dans les textes, mais à l’évidence depuis que l’homme a cessé de simplement prélever dans la nature les éléments de sa subsistance, depuis qu’il a domestiqué des espèces animales et les a regroupées dans un enclos, il a dû les protéger contre des concurrents. De même il a dû protéger ses cultures contre des espèces pou qui elles constituent aussi une ressource et qui, de son point de vue humain, sont dès lors des « nuisibles ». Au Moyen-Âge la réglementation de la chasse au profit des seigneurs visait aussi à assurer la protection des cultures contre ces espèces susceptibles de les dégrader. Plus tard, au milieu du XIXème siècle, apparaît en 1846 dans la loi la notion d’espèces d’oiseaux « utiles à l’agriculture ». Et donc, à l’inverse, celle d’espèces « nuisibles ». Au début du XXème siècle , la loi sur la chasse de 1905 a acté juridiquement cette catégorie d’ « espèces nuisibles », sur laquelle la loi de 2016 vient donc de revenir, au moins dans la formulation. Nous n’avons pas produit, au sein de l’association, de travaux historiques spécifiques sur les nuisibles, notre but avec ce colloque est de faire émerger les travaux pluridisciplinaires sur cette thématique.
ANES : c’est aussi une façon « politique » d’intervenir dans le débat public ?
Henri Jaffeux : si vous entendez par « politique » une prise de position droite-gauche, absolument pas. Mais bien sûr, il est question de « politique » au sens étymologique, au sens de gestion de la cité. Les scientifiques sont là pour informer les citoyens sur les comportements, le développement, les dynamiques des espèces dont nous parlons. Il appartient ensuite au débat démocratique de déterminer comment la société entend se comporter vis-à-vis de ces espèces. Personne ne détient de vérité sur ce type de sujet !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko