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Trois questions à Sébastien Mabile, avocat au Barreau de Paris, Président de la commission « Droit et politiques environnementales » du Comité français de l’UICN

ANES : Le Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) lance un appel au ministre de la Transition écologique et à la ministre de la Justice en vue d’une spécialisation des juges et des juridictions en environnement. Pourquoi ? Les magistrats « ordinaires » ne font pas bien le travail ? 

Sébastien Mabile : Il y a à la fois un problème de compétence des magistrats généralistes, et un problème de priorité. Le contentieux lié à la délinquance environnementale, est de plus en plus important en volume : 30 000 dossiers chaque année. Il est surtout de plus en plus technique, et un magistrat généraliste ne peut évidemment pas en connaître tous les aspects. De plus, un procureur qui doit apporter en temps réel une réponse à la délinquance sera évidemment plus réactif sur des dossiers d’atteinte aux personnes que sur des dossiers de délinquance environnementale. Résultat, on voit des audiences correctionnelles où après 5 ou 6 affaires de violences diverses ou trafics en tous genres, les juges voient arriver le dossier de délinquance environnementale comme une sujet mineur. Un braconnage d’espèces protégées, même massif, ne « pèsera » jamais aussi lourd au yeux d’un juge qu’un vol avec violence. Et de fait, les infractions environnementales sont peu ou mal réprimées. En outre, les magistrats ne sont pas formés à la protection de l’environnement l’Ecole nationale de la magistrature propose certes un module de formation de deux jours, mais c’est en formation continue. Il faut être volontaire, et il y a tellement d’autres sujets…

ANES : Votre proposition, c’est donc de créer des juridictions spécialisées…

Sébastien Mabile : Pas forcément. Certains Etats ont créé des « green tribunals », des juridictions spéciales pour traiter le contentieux environnemental. Cette solution serait difficile à concevoir dans la tradition judiciaire française. Mais il y a à l’international d’autres exemples. L’Espagne a créé un Parquet national « environnement urbanisme », qui a des relais partout sur le territoire : 90 procureurs sont les « correspondants » du parquet national dans chacune des Provinces. Ces procureurs sont spécialisés, ils savent qualifier l’infraction, évaluer le préjudice. Résultat : le taux de condamnation des infractions environnementales a été multiplié par trois entre 2006 et 2014 ! On peut déjà s’inspirer de ce modèle pour ce qui concerne le parquet. Mais nous souhaitons aussi que des magistrats du siège soient affectés à ces dossiers. On peut imaginer par exemple qu’une chambre de TGI soit spécialisée sur le droit de l’environnement dans le ressort de chaque cour d’appel. C’est un mouvement qui se dessine à l’échelle internationale, qui a été suscité et accompagné par l’UICN lors de son dernier congrès mondial à Hawaï. Il existe déjà près de 1000 juridictions de ce type dans 44 Etats, depuis l’Inde ou la chine à certains Etats des Etats-Unis ou du Canada.

ANES : Qui a signé l’appel et à qui est-il adressé ?

Sébastien Mabile : nous voulons sensibiliser à la fois le ministre de l’écologie et la garde des sceaux. C’est à eux que l’appel sera envoyé. Il a été lancé à l’initiative du Comité français de l’UICN, mais plusieurs ONG l’ont d’ores et déjà rejoint. Citons Greenpeace, France Nature Environnement, Bloom, les Eco-maires et beaucoup d’autres. Cet appel a été également signé par des juristes spécialisés en droit de l’environnement : avocats, magistrats, professeurs de droit. Notre but c’st de l’amplifier, pour qu’enfin l’application du droit de l’environnement soit garantie par une justice efficace sur ce terrain. C’est aussi un devoir à l’égard des victimes de délinquance ou préjudices écologiques : l’accès au droit et à la réparation doit leur être garanti ! 

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko