Les ours polaires disparaissent… On fait quoi ?

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3 questions à Rémy Marion, photographe, conférencier, guide naturaliste, organisateur de voyages, spécialiste des régions polaires, co-auteur avec Farid Benhamou, du livre Géopolitique de l’ours polaire aux éditions Jacques Hesse.

ANES : Le nombre d’ours polaires pourrait baisser d’un tiers d’ici 2050, selon une étude publiée cette semaine dans la revue Royal Society’s Biologu Letter. Ce chiffre vous surprend ?

remy-marionRémy Marion : Non, bien sûr. Je connais bien Eric Regehr, qui a piloté l’étude. C’est un chercheur très sérieux et sa méthode est extrêmement rigoureuse, son analyse très étayée. Bon, les ours polaires disparaissent. Ce n’est pas le premier cri d’alarme, et on sait pourquoi ils disparaissent : parce que la banquise fond. Et une fois qu’on a dit ça, on fait quoi ? Parmi les auteurs de l’étude, il y a Steven Amstrup. C’est un spécialiste internationalement reconnu de l’ours polaire, il est le directeur scientifique de Polar Bears international, une ONG qui travaille au sauvetage de l’ours polaire. Eh bien, Polar Bears International reçoit énormément de subventions de divers zoos à travers le monde : pour ces zoos, la disparition de l’ours devient un argument commercial : si vous voulez en voir, c’est chez nous et nulle part ailleurs ! Or l’ours est un animal emblématique, charismatique. Mais la morue arctique, qui est moins photogénique, tout le monde s’en fout !

ANES : OK, on ne fait rien. Mais faire « quelque chose », ce serait quoi ? Si la banquise fond c’est en raison du changement climatique. Mais ça on s’en occupe : la COP 21 a constitué une avancée…

Rémy Marion : ce que je vois surtout, c’est qu’un « climato-sceptique » est nommé à la tête de l’agence de l’environnement américaine ; c’est que les Canadiens votent une taxe carbone mais en même temps ils accélèrent l’exploitation des sables bitumineux ; c’est qu’il y a toujours des guerres du pétrole au Venezuela ou au Proche-Orient ; c’est qu’on produit toujours autant d’énergies fossiles. Certes il s’est dit des choses intéressantes à la COP 21, mais on est loin du compte, non ? Et ce ne sont pas les initiatives de quelques ONG, du genre « donnez-moi 50 € et nous sauverons l’ours polaire », qui feront avancer quoi que ce soit. L’urgence est là, elle est planétaire et elle est politique.

ANES : l’Arctique constitue un formidable enjeu économique et géopolitique. Vu de cette façon, l’ours polaire peut y être un peu gênant, non ?

Rémy Marion : bien sûr ! Les majors du pétrole qui voudraient aller y faire des forages préfèreraient sans doute qu’il n’y ait pas d’ours. Parce que c’est un animal charismatique, justement. Imaginez les images d’un ours polaire nageant dans une nappe de pétrole suite à un accident : pour la compagne exploitante ce serait une catastrophe en terme d’image ! Ce « risque réputationnel » peut encore freiner les ardeurs de certains exploitants potentiels de l’Arctique. S’il n’y a plus d’ours, ils seront beaucoup plus tranquilles. Total ne s’y est pas trompé, d’ailleurs : pourquoi croyez-vous qu’ils se soient retirés de l’exploitation de plateformes offshore en Russie ?

Propos recueillis par
Jean-Jacques Fresko