Le paysage est un mouvement permanent

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Trois questions à François Letourneux, à l’occasion de la sortie de son livre « Le mouvement des lieux – Petites histoires de paysage » aux éditions Buchet-Chastel.

François Letourneux est président de la Fête de la nature et vice-président du Comité français de l’UICN.

ANES : François Letourneux, vous êtes agronome et forestier, vous avez participé, il y a 25 ans, à la création de l’Observatoire photographique national du paysage. Mais qu’est-ce que le paysage pour vous ?

f-letourneuxFrançois Letourneux : le paysage, c’est le résultat d’un jeu d’influences : un substrat géologique, la vie qui le colonise, se développe, évolue selon l’ensemble de ses lois et, bien entendu, selon la pression des humains. Je ne crois pas à la nature comme être extérieur aux humains, je crois au vivant, dont les Hommes font partie.

Dès lors, le paysage se construit et évolue peu à peu, au fil, notamment, des interventions humaines. Celles-ci peuvent être volontaires comme l’illustrent les jardins, dont l’objectif premier est bien de « paysager » un espace ; elles peuvent aussi être le résultat involontaire d’activités agricoles, industrielles, de création d’infrastructures, etc.

Le paysage est un mouvement permanent.

ANES : diriez-vous qu’il raconte une histoire ?

mouvement-des-lieuxLe mouvement des lieux
Petites histoires de paysage
François Letourneux
Editions Buchet-Chastel
144 pages
29,00 €

François Letourneux : oui, c’est l’histoire de la vie, humains compris une fois encore. Pour Cézanne, la montagne Sainte-Victoire était blanche ; il l’a peinte et nous l’a faite aimer ainsi. La forêt l’a peu à peu verdie et nous ne l’avons plus connue et aimée que verte. L’incendie d’août 1989 – d’origine humaine – a détruit le vert, réinstallé le blanc et nous a rendu le paysage que voyait Cézanne… Mais à quel prix et pour combien de temps ?

Dans un autre registre, depuis plus d’un siècle, la voiture s’est installée chez elle chez nous ! Elle a modelé nos paysages, lentement, mais radicalement. De même que l’on ne se sent pas vieillir, on ne se rend pas compte de l’évolution du paysage car le rythme de celle-ci est lent, les changements brutaux sont rares. Et parfois salutaires, reconnaissons-le : Louis XIV peut se féliciter de la tempête qui, en décembre 1989, a détruit beaucoup des arbres qui masquaient les façades du château de Versailles, son grand œuvre. Exemple frappant d’une protection – celle des arbres par les responsables des monuments historiques – qui avait changé un paysage et lui avait fait perdre son sens.

ANES : la protection, justement, quelle est son sens ?

François Letourneux : elle est souvent à contre-sens car ce n’est pas un état qu’il faut protéger, mais un mouvement, une évolution permanente. Comme on accompagne un enfant qui grandit. En matière de paysage, il n’y a pas de science : il faut du ressenti, de l’audace, de la créativité. Et ce d’autant plus que les biologistes ne sont pas d’accord sur les objectifs à se donner en matière de protection de la biodiversité : faut-il laisser faire ? Orienter ? Choisir les « bonnes » espèces ?

Regardons le paysage : il raconte notre histoire. C’est peut-être de cette histoire qu’il faut s’inspirer pour décider de l’avenir.

Propos recueillis
par la rédaction d’ANES