Des scientifiques démontrent pour la première fois l’impact de la concurrence alimentaire des colonies d’abeilles domestiques sur les abeilles sauvages en milieu naturel.
Face à la dégradation écologique des écosystèmes, de plus en plus d’apiculteurs font « transhumer » régulièrement leurs ruchers d’abeilles au sein de milieux naturels, où ils espèrent que le nectar récolté permettra l’obtention d’un miel de meilleure qualité. Ainsi, le Massif de la Côté Bleue, une zone de garrigue dont plus de la moitié des 5700 ha, au nord-ouest de Marseille, jouit du statut d’espace naturel protégé, reçoit une forte concentration de ruchers. Pour mesurer les effets de cette apiculture saisonnière sur les nombreuses (plus de cinquante) espèces d’abeilles sauvages peuplant le territoire, le Conservatoire du Littoral, propriétaire du site, a fait appel en 2014 à deux spécialistes des abeilles de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), Mickaël Henry et Guy Rodet. Les scientifiques ont établi une cartographie précise de l’abondance des abeilles sauvages et domestiques ainsi que leur capacité d’approvisionnement en ressources alimentaires. Pour cela, ils ont compté les abeilles butineuses présentes dans un rayon de 4 km autour des ruchers d’abeilles domestiques, sur une soixantaine de sites. Ils ont ensuite déterminé le succès d’approvisionnement en nourriture de près de 2000 butineuses en mesurant les quantités de nectar et de pollen présentes sur chacune d’elles au moment de leur capture. Les résultats mettent en évidence une compétition entre abeilles sauvages et domestiques pour l’exploitation des ressources florales, qui tourne à l’avantage des secondes : l’abondance des abeilles sauvages diminue de plus de 50% dans un rayon de 900 mètres autour des ruchers par rapport aux densités mesurées au-delà de cette distance. Par ailleurs, signe d’un effet négatif de la densité d’abeilles domestiques sur l’approvisionnement des insectes, les plus faibles quantités de nectar et de pollen ont été retrouvées chez les butineuses capturées à proximité des ruchers les plus importants.
« Ces travaux ont aussi permis de mettre en évidence une zone d’influence des ruchers variant de 600 à 1 200 mètres autour de ces derniers selon le paramètre écologique pris en compte : abondance des butineuses sauvages et domestiques, taille des espèces d’abeilles sauvages présentes, taux de charge en pollen et en nectar, etc.», indique l’Inra dans un communiqué. La caractérisation de ces zones d’influence peut aider les gestionnaires d’espaces naturels à répartir les ruchers de manière à limiter leur emprise sur ces territoires. « Le simple fait d’augmenter les distances entre les différents ruchers permettrait de ménager davantage d’espaces sanctuarisés où les abeilles sauvages ne subiraient pas la concurrence des colonies d’abeilles domestiques, contribuant ainsi à maintenir les effectifs de leurs populations» explique Mickaël Henry. De plus, les chercheurs ont constaté qu’une trop forte concentration de colonies d’abeilles en un même lieu se traduit par une diminution de 44% de la quantité de nectar collectée par les butineuses de ces colonies, prouvant que la compétition existe aussi entre les colonies d’abeilles domestiques, qui doivent redoubler d’efforts pour récolter le nectar. « Éviter une trop forte concentration d’abeilles domestiques dans les espaces naturels protégés tel que celui du Massif de la Côte Bleue pourrait ainsi bénéficier aux apiculteurs qui verraient leur niveau de production mellifère augmenter sans prendre le risque d’épuiser leur cheptel», conclut l’Inra.