Quels facteurs influencent la taille des populations des oiseaux marins dans l’écosystème de Humboldt, au nord du Pérou ? Le climat, le stock de proies ? Ou les prélèvements des pêcheries et l’accessibilité aux anchois ? Réponses grâce à une étude et des observations menées pendant 50 ans !
50 ans d’observation, 4 millions d’oiseaux marins, des tonnes d’anchois, des pratiques de pêche… quels liens unissent ces données ? Tout d’abord, un écosystème : celui de Humboldt, au nord du Pérou. Ensuite, un travail d’envergure qui a permis de comprendre comment les populations d’oiseaux peuplant ces îles sont régulées par différents paramètres. Sophie Bertrand, qui a dirigé ces recherches revient sur leur origine : « nous nous intéressons à l’écologie marine, avec toujours un précepte, celui de concilier les usages et les stratégies de conservation en un lieu». Et ici, cet écosystème se prête particulièrement à ce type d’études. De fait, il se caractérise par des eaux de surface enrichies en sels nutritifs par la remontée d’eau profonde – on parle de zone de résurgence– et présente ainsi une chaîne alimentaire assez simplifiée et un nombre limité d’espèces pélagiques côtières très abondantes. En l’occurrence des anchois péruviens, Engraulis ringens. Par ailleurs, ces derniers font l’objet d’une pêche industrielle, avec des pics de prélèvement jusqu’à 16 millions de tonnes dans les années 1970. Se pose alors une question : dans quelle mesure ces pratiques de pêche jouent-elles un rôle dans la régulation de la taille des colonies d’oiseaux – cormoran des Bougainville Phalacrocorax bougainvillii, fou varié Sula variegata et pélican thage Pelecanus thagus -qui se nourrissent d’anchois ? «C’est là que les séries longues prennent tout leur intérêt, souligne l’écologue marine. Grâce aux recensements réguliers effectués par les gardiens des îles, nous disposons des données sur leur peuplement de 1961 à 2008 ! On peut ainsi véritablement avoir une approche écosystémique, qui prend en compte aussi les oscillations climatiques. »
En reliant les données sur les colonies d’oiseaux, les stocks d’anchois, les variations climatiques et les prélèvements de pêche, les chercheurs ont montré plusieurs points. Ainsi, les populations d’oiseaux sont en partie régulées par densité-dépendance : autrement dit, si jusqu’à un certain point, l’union fait la force et les individus ont intérêt à se regrouper en colonies pour se reproduire, au-delà d’une certaine densité, la compétition entre eux pour l’accès aux proies agit négativement et contraint les populations.
Surtout, les chercheurs ont mis en évidence deux facteurs explicatifs de la taille des populations dans l’année : l’accessibilité des proies, définie par la profondeur de la zone de concentration minimale d’oxygène (ZMO), et leur prélèvement par les pêcheries. En effet, plus la profondeur de la ZMO augmente, plus l’abondance des oiseaux diminue. L’explication ? Une ZMO plus profonde offre un plus grand habitat vertical aux anchois…qui peuvent plus facilement éviter d’être happés par leurs prédateurs venus des airs ! « Dans cet écosystème hyper-productif, ce n’est donc pas tant la quantité d’anchois qui conditionne la taille des colonies, mais bien leur accessibilité », insiste la chercheuse. Par ailleurs, l’abondance des cormorans et des fous variés diminue lorsque la proportion de biomasse d’anchois pêchés augmente : la capture d’anchois par les pêcheries limiterait les ressources disponibles pour les oiseaux de mer.
Pour Sophie Bertrand, ces résultats, qui permettent de mieux comprendre le fonctionnement d’un écosystème exceptionnel et également d’assurer une politique de gestion de la pêche intégrée, soulignent l’intérêt des données à long terme.