Sans lui, la moule ne pourrait pas s’accrocher à son proverbial rocher : le byssus n’est pas comestible mais cette petite barbe fibreuse du coquillage porte aujourd’hui les espoirs de développement des mytiliculteurs de Charente-Maritime.
Alimentation animale, médecine, industrie cosmétique… ce filament raclé sans pitié par le couteau de l’amateur de mouclade, pourrait bien contribuer au sauvetage d’un secteur en difficulté. C’est justement la mortalité qui a frappé les moules à partir de 2014 qui a conduit le Comité régional de la conchyliculture Poitou-Charentes (CRC) à étudier les déchets mytilicoles pour trouver une parade économique. Et le filament que secrètent les moules pour se fixer, le fil de byssus, a retenu toute son attention. Le CRC a enrôlé la Communauté d’agglomération de La Rochelle, le laboratoire bordelais Nutribrain, le groupe agroalimentaire Arrivé et l’association mytilicole Sister, avec la région Nouvelle-Aquitaine, qui a financé une partie des recherches. Connu depuis l’antiquité – il est cité dans la Bible comme une matière noble de vêtements que portent les marchands de Tyr -, le byssus pourrait supplanter avantageusement le tourteau de soja importé pour nourrir les volailles. « Il contient des acides aminés de meilleure qualité et en plus grande quantité que le soja, explique Charlotte Rhone, chargée de mission au CRC. En plus il ne demande pas de gros investissements de séchage ».
L’entreprise agroalimentaire Arrivé-Bellanné mène actuellement des tests et estime « intelligent de l’utiliser ». « Il est très riche en protéines,souligne à l’AFP son directeur Antoine Bretaudeau. Sa composition peut être bien adaptée pour les poules pondeuses bio »..Pour cet usage, le byssus se vendrait alors de 3 à 400 euros la tonne, estime le CRC, qui évalue le gisement départemental annuel à 700 tonnes. La première production pourrait survenir « dans un an, à la fin de la saison mytilicole 2019 »,pense le président de Sister, Stéphane Fournier. Mais à plus long terme, le secteur peut espérer des débouchés à bien plus haute valeur ajoutée en misant sur les bienfaits du byssus sur le corps humain. Le byssus contient en effet des acides aminés bons pour la peau, et pourrait intéresser l’industrie cosmétique. Là encore des études sont en cours. Il pourrait également entrer dans la composition de compléments alimentaires pour les enfants, les adolescents, les femmes enceintes et les sportifs, qui ont des besoins importants en acides aminés et en protéines. Le président PS de Nouvelle-Aquitaine Alain Rousset en est sûr, « demain, les nouveaux médicaments naîtront de l’océan ». Mieux encore, la colle capable d’adhérer en milieu humide qu’il comporte, la catéchol, pourrait aider à suturer les organes en chirurgie. Autre piste : il aurait aussi des bienfaits sur le cerveau, contre l’anxiété, la dépression, la maladie d’Alzheimer et favoriserait la mémoire. « Nous étudions ce qu’il contient précisément et en fonction des résultats, on pourra orienter notre recherche vers une fonction cérébrale, parce que les oméga 3 et certains polyphénols protègent du déclin cognitif lié à l’âge, explique Anne-Laure Dinel, présidente du laboratoire bordelais Nutribrain, spécialisé dans l’étude de l’impact de la nutrition sur le bien-être cérébral. Ces perspectives requièrent encore au moins cinq ans de recherches», insiste la scientifique. Cependant, si elles s’avéraient fructueuses et rentables, Stéphane Fournier en est convaincu, les éléments retenus pourraient valoir « plusieurs dizaines de milliers d’euros au kilogramme ». Et le reste du byssus repartirait nourrir les poules.