Evolution : Lamarck avait tout juste ! (2 mn 30)

Photo by James Wainscoat on Unsplash

1978
⏱ Lecture 3 mn.

Une étude publiée dans Plos-Biologypar des chercheurs de l’université de Queensland montre que Jean-Baptiste Lamarck avait correctement énoncé la théorie de l’évolution 50 ans avant Darwin. Malheureusement, son adversaire Georges Cuvier, meilleur orateur, avait réussi à convaincre les scientifiques de la justesse de sa propre théorie fixiste…

Un débat sur les oiseaux momifiés rapportés en France après la conquête de l’Egypte par Napoléon a joué un rôle central pour retarder l’acceptation de la théorie de l’évolution ; un épisode de l’histoire de la biologie révélé dans un essai publié le 27 septembre dans la revue à accès libre PLOS Biologypar Caitlin Curtis de l’Université du Queensland à Brisbane, ainsi que Craig Millar, David Lambert. Le débat entre les naturalistes Georges Cuvier et Jean-Baptiste Lamarck a eu lieu cinquante ans avant que Charles Darwin ne publie The Origin of Species.

Cuvier avait développé une théorie de la forme et de la fonction du corps appelée « corrélation des parties », dans laquelle chaque partie était un élément de la fonction de l’ensemble. Dans ce modèle, l’évolution serait désastreuse et c’est pourquoi Cuvier plaidait pour  » la fixité des espèces « , acceptant l’extinction mais non l’adaptation progressive aux nouvelles conditions environnementales. De son côté, Lamarck a proposé une transformation graduelle des espèces au fil du temps en réponse aux changements environnementaux. Alors qu’aujourd’hui Lamarck est surtout célèbre pour avoir défendu à tort l' »héritage des caractéristiques acquises » comme mécanisme de changement évolutionnaire, Curtis, Millar et Lambert notent qu’il était un théoricien et champion important de l’évolution cinquante ans avant Darwin.

En 1798, Napoléon envahit l’Egypte et les scientifiques qui accompagnent l’armée rapportent en France des centaines d’animaux momifiés, dont de nombreux Ibis Sacrés, vénérés par les anciens Egyptiens. Cuvier a examiné ces oiseaux et les a correctement liés à des oiseaux récemment collectés et non classés dans la collection du Musée national d’histoire naturelle de Paris, faisant de lui le premier scientifique à tester l’idée de l’évolution. La similitude entre les spécimens anciens et récents indiquait à Cuvier que l’oiseau n’avait pas changé de forme depuis deux mille ans, et soutenait ainsi son idée de la fixité de l’espèce. Lamarck n’était pas d’accord, faisant valoir qu’il faudrait beaucoup plus de temps pour accumuler les changements observables chez une espèce.

En 1802, les deux scientifiques constatent la similitude d’une collection de momies animales égyptiennes avec des spécimens contemporains, et présentent cette information à l’Académie française des sciences. Par la suite, Cuvier et Lamarck divergent sur l’importance de ces constatations, et poursuivent la dispute pendant plus de deux décennies. Curtis et ses collègues soutiennent que la plus grande notoriété de Cuvier et son style de présentation dramatique ont fait pencher la balance en faveur de sa théorie incorrecte, qui n’a été effectivement réfutée qu’après la mort de Lamarck en 1829, et a continué à influencer l’opinion scientifique jusqu’à la publication de la théorie de Darwin en 1852.

« Le cas de l’Ibis Sacré met en évidence l’influence disproportionnée qu’une personnalité charismatique et dominante comme Cuvier peut avoir,selon Curtis et ses collègues. Son refus de considérer le potentiel d’accumulation de petites différences sur de longues périodes de temps retarde l’acceptation de l’évolution pour les cinq prochaines décennies. À la fin du 18e ou au début du 19e siècle, de tels débats se tenaient souvent dans des lieux publics comme les salles du Musée de Paris. De nos jours, les débats publics se sont peut-être tournés vers les médias sociaux et les organes d’information, mais des débats sur des questions scientifiques importantes ont toujours lieu et ont une grande influence sur les politiques et la société. L’histoire de Cuvier souligne que, bien que 200 ans se soient écoulés, nous sommes toujours aux prises avec la question des personnalités dominantes de la science qui ont une influence disproportionnée sur son orientation ».

Lire l’étude