Le Sénat à majorité de droite devrait donner son aval mardi, après les députés, au projet de loi controversé permettant la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles pour sauver la filière betteravière, malgré l’opposition de la gauche et singulièrement du nouveau groupe écologiste.
Formant désormais un groupe politique à part entière au Sénat, les écologistes vont notamment pouvoir demander un scrutin public sur ce texte examiné en première lecture, qui divise jusqu’aux marcheurs. Pour l’écologiste Joël Labbé, il s’agit de « mettre chacun devant ses responsabilités« . Les sénateurs ont déjà validé en commission le texte du gouvernement autorisant, à titre dérogatoire, les producteurs de betteraves à sucre à utiliser jusqu’en 2023 des semences traitées avec des pesticides de la famille des néonicotinoïdes, interdits depuis 2018.
« On a un souci d’efficacité, il faut qu’on aille au bout de ce texte rapidement« , a affirmé à l’AFP la présidente LR de la commission des Affaires économiques Sophie Primas, rapporteure du texte. Les sénateurs ont apporté des précisions rédactionnelles en commission, mais « les grands équilibres du texte ont été préservés« , dans l’objectif d’une adoption définitive rapide. Les dérogations devraient en effet être effectives au plus tard en décembre, pour laisser le temps aux industriels de produire les semences nécessaires au semis de mars. En cause, un puceron vert qui transmet à la betterave la jaunisse, une maladie qui affaiblit la plante, conduisant à une perte importante de rendement.
Les sénateurs se sont toutefois inquiétés en commission de la « robustesse juridique » du texte et ont demandé au gouvernement de le consolider. En réservant les dérogations aux seules betteraves sucrières, il s’exposerait en effet à un risque d’inconstitutionnalité au regard du principe d’égalité devant la loi. Dénoncé à gauche comme « un retour en arrière« , « une régression du droit de l’environnement« , le projet de loi va se heurter à un tir de barrage de motions de rejet et d’amendements de suppression. Le nouveau groupe écologiste, qui va pouvoir faire ses armes sur le premier texte touchant à l’environnement depuis le début de la session, entend s’y opposer « avec force« , indique Joël Labbé.
Convaincu de « l’extrême toxicité de ces pesticides » qui menacent « toute la chaîne de la biodiversité« , l’élu écologiste défend « un changement de pratique agricole« . La Fondation Nicolas Hulot a appelé sur Twitter les sénateurs et sénatrices à dire « NON au projet de loi !« . Pour la Fondation, « nous ne sommes pas obligés de choisir entre les abeilles et les agriculteurs ! »
Après le vote en première lecture à l’Assemblée début octobre, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili avait dit « assumer complètement » la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes. »Moi je suis une écologiste, je veux me débarrasser de ces pesticides. Simplement quand on a un obstacle, soit on peut se mettre la tête dans le sable comme certains le font en disant « y’a qu’à », « faut qu’on », soit on agit en responsabilité, c’est ce que j’ai essayé de faire« , s’était-elle défendue face aux critiques. En 2016, le Parlement a voté l’interdiction des produits phytosanitaires à base de néonicotinoïdes, famille de pesticides qui agissent sur le système nerveux central des insectes et des mammifères, interdiction pleinement applicable depuis 2018.
Même si des pistes de recherche se révèlent prometteuses, aucune alternative n’est à ce jour disponible pour les producteurs. La betterave sucrière a été plutôt préservée de la jaunisse en 2019, mais l’année 2020 s’annonce catastrophique du fait d’une arrivée massive et prématurée des pucerons en raison d’un hiver doux. Dans son rapport, Mme Primas évoque, « au regard des premiers arrachages« , des pertes de rendement estimées « entre 13 et 20% » sur le territoire national, qui inclut des zones non touchées. « Dans certains départements, des pertes moyennes se situeront sans doute au-delà de 40 voire 50%« , selon ce rapport. À l’urgence agricole, s’ajoute l’urgence industrielle, explique la rapporteure. Au total, la filière représente plus de 45.000 emplois, directs et indirects. L’argument de la souveraineté française est aussi avancé, des pays de l’UE comme la Belgique, les Pays-Bas ou l’Allemagne, continuant d’utiliser les néonicotinoïdes, après avoir obtenu des dérogations.