« Le gouvernement rate son entrée dans le monde d’après » déclare le député Matthieu Orphelin, après que la majorité a octroyé 20 milliards aux entreprises sans aucun engagement écologique. De nouveaux abandons sur le terrain de la transition écologique se dessinent, malgré la claire mise en garde du Haut Conseil pour le Climat.
Pour aider de grandes entreprises dites “stratégiques”, telles qu’Air France, Renault ou le parapétrolier Vallourec à faire face à la tourmente économique et tenter de sauver des emplois, l’Assemblée nationale a intégré au Projet de loi de finances rectificatif voté le 17 avril une ligne de crédit de 20 milliards d’euros. A cette occasion, une dizaine de députés, dont certains membres de la République en marche, ont déposé un amendement visant à conditionner cette aide au respect d’engagements environnementaux, parmi lesquels les objectifs de l’Accord de Paris. Amendement sèchement rejeté par le gouvernement et la majorité. Pourtant, affirme l’un de ses auteurs, le député Matthieu Orphelin (ex LREM, proche de Nicolas Hulot), « il n’était en rien question de limiter le soutien d’urgence ou de renoncer à sauver nos emplois et nos savoir-faire, mais d’y associer des engagements simples, fermes et ambitieux, que les sociétés devront respecter à moyen terme (et non en pleine récession). C’est le strict minimum. Ma crainte c’est que non seulement elles continueront – comme elles l’ont toujours fait -, à mettre la pression pour repousser les objectifs climatiques ou pour assouplir les réglementations environnementales en vigueur, mais en plus nous les aidons à le faire ».Pour tenter de masquer son abandon de toute ambition environnementale, le gouvernement a substitué à l’amendement proposé une disposition vague, limitée à un simple rapport du gouvernement, sans aucune contrainte pour les entreprises concernées, et rendu a posteriori…
Outre le fond de la décision, le Matthieu Orphelin fustige la procédure retenue pour rejeter l’amendement, selon lui contraire au règlement de l’Assemblée nationale : « notre amendement a été voté en pleine nuit, avec moins de 30 députées et députés présents, avec 3 représentants LREM qui possédaient à eux seuls la majorité absolue, et sans possibilité pour les signataires de l’amendement appartenant à la majorité de voter pour leur propre amendement ! »
L’audition (en visio-conférence) de la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale n’a pas dû rassurer Matthieu Orphelin sur les intentions du gouvernement en matière environnementale. Si elle a précisé que les ambitions environnementales dans ce domaine restaient inchangées, elle a assorti ce propos de correctifs qui n’ont rien d’anodin : «la crise que nous traversons ne remet pas en cause les priorités du gouvernement en matière de transition écologique », a déclaré la ministre, mais, a-t-elle aussitôt précisé à propos des lois « économie circulaire » et « mobilités » : « Nous continuons à travailler sur leurs textes d’application en restant attentifs aux difficultés que rencontrent les acteurs et les entreprises qui sont consultées pour les élaborer ».Or les entreprises du secteur, justement, sont engagées dans une vaste offensive de lobbying visant à la fois les gouvernements nationaux et la Commission européenne en vue de démanteler les dispositifs législatifs et réglementaires qu’ils jugent trop contraignants.
Dans ce contexte, le Haut conseil pour le climat (HCC), instance mise en place en novembre 2018 par le président de la République, a publié un « rapport spécial » intitulé Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérirqui résonne comme une ferme mise en garde adressée aux pouvoirs publics. Le HCC, qui s’est auto-saisi de la question de la sortie de la crise du coronavirus, rappelle dès l’introduction de son rapport que « depuis plusieurs années, la communauté scientifique a montré des liens entre pandémies et crise environnementales. Dans son rapport adopté par les États- membres en mai 2019 à Paris, la plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services éco- systémiques (IPBES) rappelle que « les zoonoses représentent une menace sérieuse pour la santé humaine […]. Les maladies infectieuses émergentes chez les espèces sauvages, les animaux domestiques, les plantes ou les populations humaines peuvent être amplifiées par des activités humaines telles que le défrichement et la fragmentation des habitats […] ». Les émissions de polluants atmosphériques, dont certains agissent également sur le climat, ont de forts impacts sur la santé publique. Les émissions liées à la combustion des énergies fossiles sont responsables d’environ 65 % de la surmortalité due à la pollution de l’air, touchant 3,6 millions de personnes par an, en premier lieu par des maladies affectant cœur, poumons et voies respiratoires ». Le HCC adresse au gouvernement 18 recommandations pour la sortie de la crise, parmi lesquelles : « cette « relance » doit être verte, pas grise, maximiser les co-bénéfices pour le climat et les écosystèmes et ne pas verrouiller des trajectoires carbonées » (recommandation n° 10) ou encore : « Les synergies entre climat, environnement et santé doivent être renforcées – lutte renforcée contre les pollutions, contre la déforestation importée, amélioration nutritionnelle des régimes alimentaires, évolution des modes de transport »(recommandation n° 11). Pour le cas où le rapport ne serait pas totalement clair, la présidente du HCC Corinne Le Quéré a précisé au Monde : « Ce n’est pas le moment de soutenir l’aviation coûte que coûte, mais d’ouvrir le débat sur le fait de réduire les déplacements en avion».
Trop tard ! Soutenir coûte que coûte l’aviation, c’est ce que vient de décider le gouvernement et de voter l’Assemblée.