🆓 Biodiversité : pendant le Covid, le carnage continue…

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Dérégulation des épandages de pesticides… Dérogations au droit de l’environnement… Atteintes à la protection du littoral…  Pendant que l’opinion est focalisée sur la pandémie, les pouvoirs publics multiplient en douce les atteintes à la nature !

En théorie, les lois et les règlements –et notamment le droit de l’environnement- s’appliquent partout, pour tous, et de la même façon sur le territoire de la République. En théorie seulement… Car désormais, tous les préfets (de régions et de départements) pourront déroger aux dispositions du code de l’environnement, et prendre des décisions individuelles contraires à ces dispositions. Il suffit pour cela qu’ils justifient d’un « intérêt général »(dont l’appréciation est par définition subjective) et de « circonstances locales » (non précisées), que leur décision ait pour effet « d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques »; qu’elle soit « compatible avec les engagements européens et internationaux de la France » (ils ont de toute façon une force juridique supérieure aux décisions préfectorales !)  ; et qu’elle ne porte pas  « atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé ». Qu’est-ce qu’une atteinte « disproportionnée » ? Un préfet pourrait-il, par exemple, déroger à un décret de création d’une réserve naturelle et implanter un incinérateur de déchets sur le territoire de la réserve ? A suivre la lettre de cette nouvelle réglementation, oui, s’il considère que l’ « intérêt général » et les « circonstances locales » le justifient, et que cela ne porte pas une atteinte « disproportionnée » à la protection de la nature ! Ces dispositions nouvelles résultent d’un décret adopté en toute discrétion le 8 avril, quelques jours avant l’annonce de la poursuite du confinement sanitaire. En décembre 2017, les préfets de deux régions et  17 départements s’étaient déjà vu octroyer ce pouvoir de déroger au code de l’environnement, « à titre expérimental ». Mais la décision d’étendre ce pouvoir à tous les préfets n’a été précédée d’aucun retour de cette « expérimentation ».

Pour le cas où les choses ne seraient pas claires, le ministre de l’intérieur Chrisrophe Castaner a déclaré : 
 « Dans les prochaines semaines et les prochains mois, le pouvoir de dérogation des préfets pourra être un outil utile pour faciliter la reprise de notre pays ». Pourquoi s’embarrasser de considérations environnementales quand on a un bon prétexte pour s’en affranchir ?

Le ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, est tout aussi joueur que son collègue de l’intérieur. C’est par un simple communiqué, sans même s’embarrasser d’un décret ou d’un arrêté, qu’il a autorisé les agriculteurs à épandre leurs pesticides en s’affranchissant des distances de sécurité (déjà très faibles) requises par l’arrêté et le décret du 27 décembre dernier. Le procédé est à l’évidence strictement illégal, mais en période de confinement, qui va s’en soucier ? La mécanique mise en œuvre par le ministère est implacable : les textes du 29 décembre prévoient que les agriculteurs pourront déroger aux distances de sécurité si des chartes locales (adoptées après concertation entre les chambres d’agriculture et les riverains, mais pas les associations de protection de la nature) sont adoptées. Or, écrit le ministre dans son communiqué, « compte-tenu de la difficulté à mener la concertation publique, dans le contexte en cours de la crise Covid19, les utilisateurs engagés dans un projet de charte pour lequel les promoteurs s’engagent à mener la concertation dès que le contexte Covid19 le permettra, peuvent, dans l’attente de l’approbation de la charte et jusqu’au 30 juin 2020, appliquer les réductions de distance selon les modalités prévues par l’arrêté du 27 décembre 2019. Les promoteurs en informent le Préfet qui en accuse réception ». Il suffit donc à un agriculteur d’informer le préfet pour se dispenser de toute forme de distance de sécurité et épandre glyphosate et autres pesticides sous les fenêtres des riverains.

Le Conseil d’Etat a tenu à apporter sa contribution à ce grignotage du droit de l’environnement. Dans une décision rendue le 3 avril, il indique que « l’extension litigieuse d’une construction existante ne présente pas le caractère d’une extension de l’urbanisation au sens des dispositions du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ». Cet article, issu de la « Loi littoral » interdit toute construction sur le littoral en-dehors de l’urbanisation déjà existante. Mais désormais, il suffit donc de posséder une cabane de pêcheur pour pouvoir en faire un complexe hôtelier, puisqu’il s’agît alors de l’extension d’une construction existante ! Certes, dans l’affaire jugée le 3 avril, l’extension était modeste (45 m2 pour une construction existante de 120 m2), mais la rédaction de l’arrêt du Conseil d’Etat ouvre la porte à toutes les dérives et crée une jurisprudence dangereuse pour la protection du littoral.

Le décret du 8 avril

Le communiqué du ministre de l’agriculture

L’arrêt du Conseil d’Etat