Alors qu’un rapport de l’Agence européenne pour la sécurité des aliments (EFSA) confirme la dangerosité pour les abeilles de trois néonicotinoïdes, que l’Agence française de sécurité sanitaire (ANSES) recommande de restreindre l’usage d’un quatrième, le Parlement européen réclame leur interdiction.
L’Agence européenne pour la sécurité des aliments, l’Efsa, a confirmé mercredi le risque pour les abeilles posé par trois néonicotinoïdes actuellement soumis à des restrictions d’usage dans l’UE, dans un rapport attendu de longue date. Cet avis a immédiatement déclenché chez les défenseurs de l’environnement des appels à une interdiction encore plus stricte, voire totale. « Globalement le risque pour les trois types d’abeilles que nous avons étudiés est confirmé », a expliqué Jose Tarazona, à la tête du département Pesticides de l’Efsa, dans un communiqué de l’agence basée à Parme (Italie). Dans tous les cas d’utilisation en extérieur de ces substances, au moins un des aspects évalués indique un « risque élevé » pour l’abeille, précise l’Efsa. L’avenir de ces trois pesticides néonicotinoïdes (la clothianidine, l’imidaclopride et le thiaméthoxame), substances neurotoxiques qui s’attaquent au système nerveux des insectes, est en suspens dans l’Union depuis 2013 après une première évaluation de l’agence scientifique. Celle-ci s’est lancée en 2015 dans une évaluation encore plus poussée des effets des néonicotinoïdes sur les abeilles, visant à rassembler « toutes les preuves scientifiques » publiées depuis son premier avis, et dont la conclusion avait pris du retard face à la masse de données collectées. En outre, l’évaluation couvre cette fois non seulement les abeilles à miel, mais aussi les abeilles sauvages (bourdons, abeilles solitaires). Deux géants des pesticides dont des produits sont directement concernés par les restrictions d’usage, le suisse Syngenta et l’allemand Bayer, avaient attaqué devant le Tribunal de justice de l’UE la décision de restreindre l’usage de ces trois « néonics », interdits pour les cultures qui attirent les abeilles (comme le maïs, le colza oléagineux ou le tournesol) sauf quelques exceptions. La procédure est toujours en cours. Mercredi, Bayer a clamé son « désaccord fonndamental » avec l’analyse mise à jour de l’Efsa sur l’imidaclopride et la chlothianidine. « Les résultats de l’Efsa la placent en dehors du courant scientifique dominant actuel sur la santé des abeilles, comme représenté par de récentes évaluations similaires » par les agences scientifiques environnementales aux Etats-Unis et au Canada, soutient Bayer dans un communiqué. L’association européenne des producteurs de pesticides, l’ECPA, a également fait part de sa désapprobation. « Nous ne contestons pas la possibilité d’un risque pour les abeilles, toutefois nous ne partageons pas l’avis de l’Efsa sur la nature de ce risque, explique l’ECPA dans un communiqué séparé. Avec les bonnes mesures, tout risque posé aux abeilles par les néonicotinoïdes peut être géré », estime-t-elle.
La nouvelle évaluation de l’Efsa « renforce la base scientifique de la proposition de la Commission d’interdire toute utilisation extérieure de ces trois néonicotinoïdes », a réagi l’exécutif européen.
De son côté, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a recommandé lundi dans un rapport d’étape de réduire « aux maximum (les) usage » du thiaclopride dès 2018, un néonicotinoïde dont l’usage est en augmentation. La loi sur la biodiversité de 2016 prévoit l’interdiction des néonicotinoïdes en France à partir du 1er septembre 2018, avec des dérogations possibles au cas par cas jusqu’au 1er juillet 2020. Ces substances s’attaquent au système nerveux des insectes, désorientent les pollinisateurs, contribuant au déclin spectaculaire des colonies d’abeilles. Elles touchent aussi des invertébrés terrestres et aquatiques et persistent dans l’eau et les sols. Dans ce cadre, l’Anses a été chargée de réaliser une évaluation des risques et des bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes, et de leurs alternatives. L’agence examine aussi les impacts sur la santé humaine de ces substances. Dans ce rapport d’étape, publié avant le rapport final attendu au second trimestre 2018, l’Anses indique que « concernant l’impact des néonicotinoïdes sur la santé humaine, l’expertise réalisée (…) ne met pas en évidence d’effet nocif, pour des usages respectant les conditions d’emploi fixées par les autorisations de mise sur le marché. L’Agence rappelle donc l’importance du respect des conditions d’emploi prévues », selon le communiqué. Dans le cas précis du thiaclopride, « compte tenu de ses caractéristiques de danger, de l’accroissement important de son utilisation constatée au cours de la période 2010-2015, et des incertitudes liées aux expositions cumulées avec d’autres produits phytopharmaceutiques ou biocides (insecticides, produits contre les rongeurs) présentant des caractéristiques de danger similaires, l’Anses recommande de réduire au maximum les usages pour les produits à base de cette substance dès 2018 ».
Parallèlement, la commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen « demande à la Commission de suspendre l’autorisation des substances actives pesticides qui mettent en danger la santé des abeilles sur la base des conclusions scientifiques de l’EFSA fondées sur des essais sur le terrain, et ce jusqu’à la publication de l’évaluation d’impact détaillée finale de l’EFSA; réaffirme que tout processus décisionnel doit être fondé sur des évaluations et des conclusions scientifiques; invite la Commission et les États membres à agir sur la base du consensus scientifique établi et à interdire les substances actives pesticides, y compris les néonicotinoïdes et les insecticides systémiques dont il est scientifiquement prouvé (sur la base des résultats des analyses de laboratoire et, en particulier, des essais sur le terrain) qu’ils sont dangereux pour la santé des abeilles; demande en même temps des produits de substitution ou méthodes agronomiques sûrs (comme diverses formes efficaces de lutte antiparasitaire à faible teneur en pesticides, de lutte biologique et de lutte intégrée contre les ennemis des cultures) à mettre en œuvre pour remplacer les substances actives qui présentent un risque pour les abeilles ».