Des études et rapports publiés lors de la Semaine européenne de l’abeille et de la pollinisation démontrent que les ventes de néonicotinoïdes décollent et que les populations d’abeilles en font bien les frais. La communauté européenne se réunit autour de la table pour trouver des solutions.
Deux des expériences les plus étendues menées à ce jour dans la nature, en Europe et au Canada, ont confirmé la nocivité des insecticides agricoles néonicotinoïdes pour les abeilles et autres pollinisateurs qui y sont exposés. Les résultats de ces études, publiées dans la revue américaine Science, révèlent aussi que l’environnement local et l’état de santé des ruches peuvent moduler les effets des néonicotinoïdes, dits pesticides « tueurs d’abeilles » et largement utilisés dans l’agriculture. Mais ces substances chimiques, qui agissent sur le système nerveux des insectes, ont dans l’ensemble « des effets nettement délétères » sur ces pollinisateurs essentiels à de nombreuses récoltes, dont une nette réduction de leur taux de reproduction et une forte augmentation de leur mortalité, concluent ces travaux financés en partie par le secteur, avec les groupes allemand Bayer et suisse Syngenta. Après ces études, « on ne peut plus continuer à affirmer que les néonicotinoïdes dans l’agriculture ne sont pas nuisibles aux abeilles », a réagi David Goulson, professeur de biologie à l’université britannique de Sussex qui n’a pas participé aux travaux.
La première expérience, conduite sur un total de 3.000 hectares au Royaume-Uni, en Allemagne et en Hongrie, a exposé trois espèces d’abeilles à des récoltes de colza d’hiver dont les semences avaient été traitées avec de la clothianidine de Bayer Crop Science, ou avec du thiaméthoxame de Syngenta. Les chercheurs ont constaté qu’une exposition à ces récoltes réduisait le taux de survie des ruches durant l’hiver, dans deux de ces trois pays. « Les néonicotinoïdes, objets de cette étude, ont réduit la capacité des trois espèces d’abeilles à se reproduire et à établir de nouvelles populations l’année suivante, tout au moins au Royaume-Uni et en Hongrie », précise Ben Woodcock, un entomologiste du Centre britannique pour l’écologie et l’hydrologie (CEH), principal auteur de cette étude. Ainsi en Hongrie, la population des ruches a diminué de 24% au printemps suivant. Au Royaume-Uni, le taux de survie a été généralement faible mais au plus bas dans les ruches où les abeilles avaient été en contact avec du colza traité avec de la clothianidine. En revanche, moins d’effets néfastes ont été observés chez les abeilles en Allemagne. Selon Woodcock, les différences d’impact de ces insecticides sur la viabilité des ruches entre les trois pays pourraient s’expliquer par l’accès plus ou moins grands à d’autres plantes que le colza traité ainsi qu’à l’état de santé des colonies.
La seconde expérience menée au Canada a montré que les abeilles ouvrières et les reines dans les ruches en contact avec des néonicotinoïdes mouraient plus tôt et que la santé des colonies était affaiblie. Les abeilles exposées à du pollen traité avec ces insecticides pendant les neuf premiers jours de leur vie voyaient leur espérance de vie réduite de 23%. De plus, les colonies étaient incapables de maintenir de bonnes conditions pour permettre à la reine de pondre. Les scientifiques ont également été surpris de trouver dans les ruches du pollen contenant du néonicotinoïde qui ne provenait pas du maïs ou sojatraités mais de plantes situées à proximité. « Cela indique que les néonicotinoïdes qui se dissolvent dans l’eau se propagent dans l’environnement », souligne Nadia Tsvetkov, une chercheuse de l’université de York.
Malgré ces études alarmantes, les ventes de néonicotinoïdes ont augmenté de 4% entre 2013 et 2015, a indiqué dans le même temps l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf). En décembre 2013, l’Europe a restreint l’usage des trois principales substances (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame) pour les cultures à fleurs, mais pas pour les céréales d’hiver. Deux autres substances néonicotinoïdes, le thiaclopride et l’acétamipride, n’étaient pas concernées par ce moratoire partiel qui doit être réétudié par l’UE cet été. « L’usage des néonicotinoïdes, toutes molécules confondues, a augmenté de 4% entre 2013 et 2015 », les ventes étant passées de 380,1 tonnes à 395,2, indique l’Unaf, rendant publics dans un communiqué des chiffres obtenus auprès du ministère de l’Agriculture. Les ventes de thiaclopride, massivement utilisé sur les cultures de maïs, ont bondi de 41 tonnes en 2013 à 105,9 en 2015 (+158%). Les ventes d’imidaclopride sont restées stables à 261,2 tonnes en 2015, contre 261,8 en 2013, malgré le moratoire partiel. « Cela s’explique par le maintien de son autorisation sur les céréales à paille », explique l’Unaf, rappelant que cette substance « est l’insecticide qui contamine le plus les eaux de surfaces françaises ». Les ventes d’acétamipride ont elles aussi augmenté, passant de 6,7 tonnes à 8,4 tonnes, soit une hausse de 25%. « Pour restaurer un environnement sain pour les abeilles et les pollinisateurs, l’Europe doit étendre son interdiction des néonicotinoïdes à tous leurs usages« , estime Gilles Lanio, président de l’Unaf.
Ces chiffres inquiètent les scientifiques, selon qui la recherche sur les effets des néonicotinoïdes et des substances issues de leur dégradation est aujourd’hui insuffisante. Aussi la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) a sollicité son conseil scientifique pour dresser un paysage des questionnements scientifiques actuels et identifier des champs de recherche à développer. Cette méconnaissance « induit une sous-estimation des conséquences néfastes pour la biodiversité », a-t-elle indiqué dans un communiqué. Dans un rapport intitulé « Biodiversité et néonicotinoïdes : revisiter les questions de recherche », la FRB appelle à ce qu’une réflexion scientifique soit engagée sur les effets des néonicotinoïdes sur la biodiversité en général et non pas seulement sur des espèces emblématiques comme les abeilles. « Les relations interspécifiques de compétition, prédation ou encore de mutualisme impliquent que l’effet direct d’un insecticide sur une espèce donnée se traduit nécessairement par des effets indirects sur des espèces en interactions avec cette espèce cible », précise-t-elle. La fondation souhaité également que les alternatives aux néonicotinoïdes, notamment les pratiques d’agro-écologie excluant les intrants chimiques, se développent.
De son côté, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), a organisé une réunion scientifique majeure à Bruxelles, dans le cadre de la Semaine européenne de l’abeille et de la pollinisation du Parlement européen, afin de réunir apiculteurs, scientifiques, décideurs politiques, ONG et autres parties prenantes autour de question de l’amélioration de la collecte et du partage des données sur les abeilles. Les participants se sont engagés à mettre « en place un partenariat européen en faveur des abeilles qui pourrait transformer la manière dans la santé des abeilles est évaluée dans l’UE », a indiqué l’EFSA. Forte de son expertise pluridisciplinaire dans le domaine de la santé des abeilles, l’agence publique mettra en place un groupe dont la mission sera de faciliter la création de ce partenariat et de le rendre « aussi large et représentatif que possible. » Mariya Gabriel, députée européenne et présidente du groupe de travail du Parlement européen sur l’apiculture et la santé des abeilles, a déclaré dans son discours d’ouverture : « Notre objectif doit s’étendre au-delà de la Semaine de l’abeille. Sur le long terme, il est essentiel que les apiculteurs, les scientifiques, les ONG, les fabricants, les agriculteurs, les vétérinaires et les institutions de l’UE continuent à mettre en commun leurs efforts afin d’améliorer le partage et la gestion des données, renforcer leur collaboration et permettre, au final, une évaluation plus solide de la santé des abeilles dans l’UE. »