Des chiffres « dramatiques« , la crainte d’une « catastrophe » : face à l’appétit mondial pour le bois, notamment de la Chine et des Etats-Unis, la crainte d’un nouvel exode du bois des forêts françaises inquiète jusqu’au sommet de l’Etat, alors que les scieries hexagonales peinent à fournir la demande en matériaux de construction.
« Il faut qu’on fasse des ‘bougers’ sur l’amont de la filière, sinon on va arriver à une catastrophe. Les chiffres de ce début d’année sont dramatiques« . Le cri d’alarme, lancé avec une tournure bien à lui par le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie lors du récent conseil stratégique de la filière bois, est surtout adressé aux forestiers privés, alors que Bercy tente de relancer en aval la filière industrielle du bois. En cause, une accélération de l’exportation de grumes, les arbres coupés, notamment vers la Chine en ce qui concerne les magnifiques chênes blancs des forêts hexagonales. « Depuis octobre, on est sur un doublement du volume d’exportations (par rapport à l’an dernier), du fait de la Chine essentiellement« , estime Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du bois (FNB) qui représente scieurs et transformateurs, et dénonce une situation « critique« . Principale crainte des pouvoirs publics: une remise en cause de la relance de la fragile filière bois française, qui représente 440.000 emplois, alors que la demande bat son plein dans la construction. Un coup de rabot aux ambitions du secteur serait d’autant plus dommageable que le gouvernement vient de mettre en place une réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE2020) qui incitera à l’emploi de davantage d’éléments biosourcés, au premier rang desquels le bois.
Outre le redémarrage de l’économie chinoise, la tension sur les prix et les approvisionnements vient aussi d’une décision de la Russie, deuxième exportateur mondial de bois, d’interdire à partir de 2022 l’exportation « brute » de troncs de certains types d’arbres. La réduction de l’offre de bois français attise un peu plus les problèmes. La récolte de bois de chêne « a franchement baissé l’année dernière, de l’ordre de 15%« , estime M. Douzain-Didier. Pour la forêt publique, Aymeric Albert, chef du département commercial bois de l’Office national des forêts (ONF), reconnait une tendance de baisse de la récolte de chêne depuis cinq ans environ: « de l’ordre de 7-8% l’an dernier« , dit-il à l’AFP. En cause, le réchauffement climatique et la prolifération des cervidés dans les forêts domaniales, friands de jeunes pousses, qui ralentissent la régénération naturelle des peuplements. Les forestiers privés mis en cause, contactés par l’AFP, ne se sont pas exprimés, disant attendre des données chiffrées plus consistantes.
En aval de la filière, chez Lapeyre, la chaîne grand public comptant 10 usines et 126 magasins de bricolage, menuiserie en France, « les prix du PVC, du métal et du verre ont augmenté, mais le bois est le principal sujet d’inquiétude pour d’éventuelles ruptures d’approvisionnement » a indiqué un responsable à l’AFP. L’inquiétude autour de « la pénurie » pointe aussi chez Anthony Meignen, directeur général de l’entreprise Bio Création Bois, une PME de 35 personnes en Loire-Atlantique. Il constate « une forte augmentation des tarifs, à peu près 20% » et un allongement des délais de livraison de six semaines à six mois pour des produits spécifiques, comme les panneaux de contreplaqué à base d’épicéa. Les bois transformés à base de résineux d’Europe du Nord partent en effet massivement vers les Etats-Unis, où la construction est repartie de plus belle. « Les prix des bois aux Etats-Unis ont quasiment triplé » ces derniers mois, indique Michel Druilhe, président de l’interprofession France-Bois-Forêt. En cause, un conflit commercial avec le Canada, des tempêtes dans l’Est américain, et des incendies de forêts à l’Ouest.
L’ensemble des acteurs français planchent sur des solutions, assure M. Druilhe: D’abord « augmenter la récolte« , « c’est l’engagement qu’ont pris tous les gestionnaires de l’amont forestier« , pour « mobiliser davantage de chênes dans un temps court« . Pour rediriger les ventes de grumes de chênes vers les scieries françaises plutôt que vers l’exportation, « des engagements de moyens ont été pris par les gestionnaires forestiers« , ajoute-t-il, promettant de scruter les résultats. La précédente crise avait abouti à la création d’un label « Transformation UE« , qui accorde aux acheteurs s’engageant à transformer leur bois dans l’Union européenne un accès privilégié aux chênes lors des ventes de l’Office national des forêts (ONF), gestionnaire des forêts publiques. La promotion de ce label au sein de la forêt privée « serait un signe positif envoyé à l’ensemble de la filière« , a jugé M. Druilhe.