« Partout, il régresse »: à Jungholtz (Haut-Rhin), le principal élevage de grands hamsters d’Alsace tente depuis des années d’enrayer le déclin de ce petit rongeur, autrefois abondant en Europe mais désormais au bord de l’extinction, victime de la monoculture et de l’urbanisation.
Installée depuis 2015 au pied des Vosges dans une ancienne cartonnerie, cette pouponnière d’un genre particulier accueille actuellement quelque 650 « cricetus cricetus », nom scientifique du grand hamster. D’ici peu, quand les dernières femelles auront mis bas, ils seront « environ 700″, explique Célia Schappeler, 28 ans, l’une des deux soigneuses de cet élevage qui lâche chaque année dans la nature alsacienne entre 500 et 700 grands hamsters. Pour pénétrer dans les deux salles d’élevage, masque, blouse et surchaussures sont obligatoires. Devant les pièces, des bacs remplis d’un liquide rose sont dévolus à la désinfection des pieds : pas question que le moindre germe extérieur contamine ces fragiles pensionnaires, répartis dans 500 cages. Empilées sur quatre niveaux, chacune abrite alternativement un mâle et une femelle, afin d’habituer l’un à l’autre dans la perspective de la reproduction. A l’intérieur, une litière de copeaux et un parpaing de brique sert de terrier à ces petits rongeurs d’une vingtaine de centimètres aux allures de peluches. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
Sur chaque porte grillagée, une réserve d’eau et un bac rempli de granules de céréales, agrémentés deux fois par semaine par des pommes, des grillons et des vers de farine. La température est méticuleusement régulée : une dizaine de degrés pendant la période d’hibernation (octobre à mars), une vingtaine le reste de l’année, notamment pendant la reproduction (avril à juillet). L’objectif : recréer autant que faire se peut les conditions extérieures afin que les hamsters ne soient pas trop désorientés une fois lâchés dans la
nature. Ceux qui naissent à Jungholtz sont relâchés au bout de un ou deux ans. Munis d’une puce, ils sont ensuite suivis par l’Office français de la biodiversité (OFB), explique Jean-Paul Burget, 62 ans, président de l’association Sauvegarde Faune Sauvage, qui gère cet élevage, le plus important d’Alsace. Les lâchers s’avèrent souvent périlleux pour les rongeurs, dont « 70% » meurent dans l’année, explique M. Burget, qui ferraille depuis des décennies pour sauver cet animal, également appelé « hamster d’Europe » ou « cochon de seigle », et dont la population se réduit de plus en plus. « Quand j’ai commencé les comptages à la fin des années 1970, il y en avait 4.000 dans le Haut-Rhin, et 10.000 dans le Bas-Rhin. Aujourd’hui, ils doivent être entre 700 et 800 au total » en liberté en Alsace, s’alarme cet ancien soigneur du zoo de Mulhouse.
Une situation dramatique, récemment relevée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui a classé le rongeur « en danger critique », redoutant que cette « espèce parapluie » – sa protection entraîne celle de plusieurs autres espèces – ne disparaisse d’ici à une trentaine d’années. En France, le grand hamster, présent uniquement en Alsace, est protégé depuis 1993 et des plans de conservation ont été lancés. Insuffisant pour M. Burget, à l’origine de la plainte contre la France qui avait débouché en 2011 sur un rappel à l’ordre de la Cour européenne de justice. Celle-ci avait jugé insuffisantes les mesures de protection de l’animal. Car depuis, sa présence continue de régresser « partout : en Alsace, en Allemagne, en Europe de l’Est… La monoculture du maïs a foutu en l’air toute la biodiversité », s‘énerve ce sexagénaire au caractère bien trempé, qui rappelle que le grand hamster a besoin pour survivre d’un « biotope favorable », avec des cultures diversifiées (blé, luzerne…).
Sans compter l’urbanisation, qui le met également à mal : les défenseurs de l’environnement se sont notamment insurgés contre le contournement autoroutier de Strasbourg (GCO), en service fin 2021 et qui passe par une des rares zones où le grand hamster vit encore, même si des lâchers compensatoires ont eu lieu. Face à tout cela, Jean-Paul Burget refuse pourtant de se résigner : « Il faut sauver le grand hamster, martèle-t-il, disant sa détermination, s’il le faut, à porter plainte contre la France de nouveau auprès des instances européennes. Et là, ça coûtera encore plus cher »,prévient-il.
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