Dans la perspective de la Stratégie nationale biodiversité pour 2021-2030, 14 ONG co-signent un « livre blanc » structuré autour de 8 « ambitions », chacune déclinée en objectifs concrets et mesurables.
Tout y est ! Les 14 ONG qui ont contribué à la rédaction de ce Livre blanc, remis le 22 mai à la ministre de l’écologie Elisabeth Borne, ont réalisé un travail considérable, explorant tous les domaines de l’activité nationale qui exercent un impact sur l’état de la biodiversité.
Au départ, un constat… tristement banal : l’érosion de la biodiversité s’aggrave… y compris en France en dépit des deux précédentes Stratégies nationales (SNB1 : 2000-2010, SNB2 : 2011-2020, relayée en 2018 par le « plan biodiversité » du gouvernement). Ce constat constitue le premier chapitre de ce Livre blanc, et il s’ancre bien sûr dans l’actualité de la pandémie de Covid-19 : « Cette crise sanitaire révèle une crise bien plus globale, systémique, qui touche à la fois aux dimensions économiques, sociales, politiques mais aussi idéelles et civilisationnelles des modes d’exister humains actuels. Elle revêt enfin une dimension environnementale qui met en question la structuration même du monde telle qu’un certain modèle de sociétés l’a conçue. Car si nos sociétés modernes et industrielles ont pu améliorer considérablement les conditions de vie d’une part importante des humains, elles ont fondé en grande partie ce progrès sur une dégradation de l’écosphère. Ce qui est en cause, c’est un modèle politique, économique et social fondé sur une hyperconsommation de biens et d’énergies et un mode de vie qui n’est pas durable ».
Les ONG signataires de ce Livre blanc proposent en conséquence de déployer une nouvelle vision du monde, de nos sociétés, de l’économie : « Notre projet est tout autre : c’est celui d’une réconciliation avec la nature, ou même d’une « réinsertion » de notre espèce dans la biosphère, en considérant que nos destins sont liés. Il s’agit tout à la fois d’améliorer l’état de l’écosphère et d’assurer une vie meilleure à l’en- semble des humains car la biodiversité, sa préservation et sa restauration sont une partie de la solution pour innover, nous protéger et créer des emplois différents, nouveaux et locaux ».
Plus concrètement, l’état des lieux que dressent les ONG n’a rien d’enthousiasmant : « Des études convergentes témoignent de l’effondrement des insectes (avec un taux d’extinction huit fois supérieur à celui des autres espèces animales, selon une étude australienne et un effondrement de 67 % en Allemagne depuis 201011). Près de 80 % des insectes volants auraient déjà disparu en Allemagne. Bien qu’il n’existe pas d’étude similaire en France, on peut s’attendre à des tendances comparables étant donnée l’importante consommation de pesticides, première cause de disparition des insectes.
D’autres indicateurs de l’Observatoire National de la Biodiversité témoignent également d’une érosion continue de notre patrimoine naturel :
- 50 % des zones humides ont disparu entre 1960 et 1990, et 50 % des zones humides restantes sont dans un état non satisfaisant ;
- 43 % seulement des eaux de surface sont de bonne ou très bonne qualité écologique et seulement 8,4 % des rivières sont considérées « à forte naturalité » ;
- Les surfaces toujours en herbe en métropole ont diminué de11% entre 2000 et 2013;
- L’abondance des chauves-souris en métropole a diminué de 38 % entre 2006 et 2016.
Comme pour le changement climatique, les études témoignant de l’effondrement du vivant se multiplient. La nature ne connaît pas de frontières, et c’est particulièrement vrai pour les espèces marines. À l’échelle mondiale, la FAO estime que près de 30 % des populations de poissons sont surexploitées et que 60 % sont exploitées à leur niveau maximal, et que les populations de requins ont diminué de 90 % dans les zones exploitées. L’indice « planète vivante », développé par le WWF, fait état d’une baisse globale de 60 % du nombre de vertébrés terrestres et marins pendant la même période.
Le récent rapport de l’IPBES, présenté à Paris en 2019, sur l’état de la biodiversité mondiale nous rappelle que pas moins de 75 % des surfaces terrestres, 50 % des rivières et 40 % des océans sont sévèrement altérés par les activités humaines et leurs conséquences. Sur les huit millions d’espèces existant sur la planète, « un demi-million à un million d’espèces vont être menacées d’extinction, dont beaucoup dans les prochaines décennies ».
Le deuxième chapitre du Livre blanc est consacré à un rappel des politiques « biodiversité » mises en œuvre par le passé. On fait généralement remonter ces politiques à la signature à Rio, en 1992, de la Convention sur la Diversité Biologique, qui invitait les États signataires à développer des stratégies nationales pour « la conservation et l’utilisation de la diversité biologique ». Cependant, bien avant cette stratégie et l’apparition du terme « biodiversité », des actions importantes d’acteurs publics ou privés ont été initiées pour protéger la « nature ». C’est donc un panorama de plus de soixante ans de politique de la nature et de la biodiversité qu’il faut parcourir pour tirer les leçons des échecs, mais aussi des succès, et bâtir les actions futures, et c’est ce que font les ONG.
Le cœur du propos réside évidemment dans le chapitre suivant, intitulé Propositions pour une nouvelle stratégie. Ces propositions s’articulent autour de 8 « ambitions » :
- Développer une gouvernance inclusive et planifiée et faire respecter le droit ;
- Intégrer les objectifs de biodiversité et les solutions fondées sur la nature dans les principales politiques sectorielles (énergie et climat, agriculture et forêt, urbanisme et aménagement) et dans la mise en œuvre française des objectifs de développement durable (ODD) ;
- Réduire les pressions sur la biodiversité à la source, en ciblant les déterminants socio-économiques de ces pressions ;
- Protéger et restaurer durablement les milieux, les espèces et leur capacité d’évolution, dans un cadre cohérent d’aménagement du territoire ;
- Sensibiliser, former et mobiliser tous les citoyens et tous les acteurs ;
- Améliorer les savoirs et les savoir-faire ;
- Assurer un accès équitable au patrimoine naturel et lutter contre les inégalités d’accès aux aménités naturelles.
Pour satisfaire à chacune de ces « ambition », une série de mesures concrètes est proposée, qui touchent à l’organisation administrative, à la fiscalité, à la réglementation économique, ou aux politiques d’aménagement et d’investissement de l’Etat et des collectivités territoriales. Au total, 161 propositions qui peuvent constituer une base de travail pour le ministère dans l’élaboration de la nouvelle stratégie nationale.
« Après des décennies au cours desquelles une croissance économique soutenue et des politiques sociales de redistribution avaient permis d’améliorer le bien-être matériel d’une grande partie de la population française, nous avons pu entretenir un temps l’illusion que, malgré des crises temporaires, nous allions un jour retrouver le chemin de la «croissance», écrit en conclusion le président d’Humanité & Biodiversité, Bernard Chevassus-au-Louis. Mais le constat est là : le pouvoir d’achat stagne et les inégalités de revenu, après avoir fortement diminué pendant les « trente glorieuses », se creusent à nouveau. À ces inégalités économiques s’ajoutent, souvent pour les mêmes personnes, de multiples autres, sociales, culturelles, sanitaires et, en outre environnementales. Pour prendre l’exemple de l’accès à la nature, il ne suffit pas d’avoir les capacités concrètes de s’y rendre, il faut aussi avoir reçu une culture – savoir reconnaître des plantes, des chants d’oiseaux – pour en profiter pleinement. Les conditions actuelles de confinement mais aussi de travail de certains mettent en lumière l’ampleur de ces inégalités qui hélas, risquent de se creuser dramatiquement dans les prochains mois. C’est en étant pleinement conscients de cette situation qu’il nous faut engager enfin – car nous ne l’avons qu’à peine initiée – l’indispensable transition écologique de notre société ».