Négocier des quotas de pêche pour 2021 sans savoir si les bateaux de l’UE pourront se rendre dans les eaux britanniques : l’équation est délicate pour les Vingt-Sept, confrontés à l’inconnue du Brexit mais aussi au défi de la surpêche en Méditerranée.
Les ministres européens de l’Agriculture et de la pêche, réunis à Bruxelles, discutaient mercredi 16 décembre des quotas de captures par espèces qui s’appliqueront à partir du 1er janvier dans l’Atlantique et la mer du Nord, ainsi qu’en Méditerranée et mer Noire. De sources concordantes, les pourparlers pourraient s’achever tard dans la nuit, voire jeudi matin. « Pour que nos pêcheurs puissent continuer à pêcher, il est important que nous nous mettions d’accord sur des quotas — provisoires, compte tenu des négociations Brexit encore en cours« , a rappelé la ministre allemande Julia Klöckner, dont le pays occupe la présidence tournante de l’UE. À deux semaines de la date fatidique du 31 décembre, la recherche d’un accord post-Brexit entre Londres et Bruxelles achoppe toujours sur la pêche, les Européens refusant notamment de remettre chaque année sur la table un éventuel accord de pêche alors que plusieurs centaines d’espèces sont concernées.
En raison de cette incertitude, les ministres limiteront mercredi leurs discussions sur les quotas aux zones où ils ne partagent pas de stocks avec les pêcheurs britanniques, « mais le Brexit est omniprésent dans les esprits », souligne une source diplomatique. Pour les espèces en eaux profondes, six stocks sur neuf sont exploités de concert avec le Royaume-Uni. Pour l’Atlantique/mer du Nord, sur environ 150 stocks, une vingtaine seulement ne sont pas partagées avec les Britanniques. Alors qu’il est déjà difficile de décider pour seulement une partie des stocks, la Commission européenne propose simplement de reconduire pour trois mois les quotas actuels, ce qui est jugé « problématique », explique une autre source diplomatique. Pour appliquer cette reconduction pour les stocks partagés, il faudrait que Londres donne son feu vert car elle suppose d’avoir toujours accès aux eaux britanniques. En outre, une grande part des captures intervenant en début d’année, ce calendrier est jugé « inadapté« , selon cette source.
Les Européens sont aussi sous pression sur un autre front : la Norvège, qui n’est pas membre des Vingt-Sept, prévoit de fermer ses eaux poissonneuses aux pêcheurs de l’UE et du Royaume-Uni si un accord entre les trois parties n’est pas en place d’ici au 1er janvier. En cas de « no deal« , l’UE prévoit des mesures d’urgence garantissant l’accès réciproque aux eaux des deux parties pour les bateaux de pêche jusqu’au 31 décembre 2021… à condition que Londres fasse de même. L’après-Brexit alimente les inquiétudes sur les risques de pressions supplémentaires pour des ressources halieutiques déjà malmenées. « Le risque est que pour marquer sa « liberté retrouvée », le Royaume-Uni diminue de beaucoup les restrictions et contrôles imposés jusqu’alors par les Européens aux pêcheurs britanniques dans ses eaux« , s’alarme l’eurodéputé François-Xavier Bellamy, rapporteur pour le Brexit de la commission pêche. Surtout, « des discussions longues et douloureuses (avec Londres et Oslo) risqueraient de diluer les engagements » de l’UE sur la préservation d’espèces, en particulier pour certains poissons d’eaux profondes, s’alarme Jean-Christophe Vandevelde, de l’ONG Pew.
Les propositions de la Commission pour enrayer la surexploitation en Méditerranée posent aussi problème. « Dans le cadre du plan de gestion pour la Méditerranée occidentale adopté en 2019, une baisse d’au moins 30% de l’effort de pêche est prévue d’ici à 2025 pour atteindre une gestion durable des stocks. Et la Commission propose une réduction de 15% dès 2021« , après moins 10% cette année, explique une source diplomatique. De sources concordantes, Espagnols, Français et Italiens jugent la mesure « pas assez progressive » et s’y opposent. « Nous parlons d’un point de vue environnemental, mais il faut prendre en compte l’activité économique et l’impact social pour nos pêcheurs« , a plaidé mardi 15 décembre le ministre espagnol Luis Planas.