Cet insecticide neurotoxique est responsable de milliers de cas d’autisme et de déficience mentale en Europe et aux Etats-Unis. Il a été autorisé en Europe sur la base d’une seule étude –biaisée – produite par son fabricant américain Dow Chemical. Plus d’un millier d’autres études ont été ignorées.
Les scientifiques disent qu’il n’y a pas de dose acceptable pour éviter les lésions cérébrales. Son utilisation est interdite dans plusieurs pays européens. Pourtant, ses résidus se trouvent dans des fruits, dans des assiettes et dans des échantillons d’urine humaine provenant de toute l’Europe. Le chlorpyriphos est utilisé pour lutter contre les insectes dans les cultures de légumes et de fruits. « En comparaison avec le glyphosate, la substance active du Roundup, le chlorpyrifos est passé inaperçu, explique au média indépendant européen EUObserver le professeur Thomas Backhaus, qui enseigne l’écotoxicologie et les sciences de l’environnement à l’Université de Göteborg. Lorsque nous parlons d’herbicides comme le glyphosate qui tuent les mauvaises herbes, les humains peuvent s’en sortir parce que nous n’avons pas de chlorophylle et ne sommes pas directement affectés. Lorsque nous parlons d’insecticides, nous avons le problème qu’ils affectent tous les animaux en développement, y compris les humains », dit-il. Philippe Grandjean, professeur de médecine environnementale à l’Université du Danemark du Sud et à la Harvard School of Public Health aux États-Unis, note que les lésions cérébrales liées au chlorpyrifos ont été découvertes à la plus faible dose détectable. « Cela signifie par définition qu’on ne peut pas définir une dose tolérable pour la consommation – cette dose doit être nulle », dit-il.
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Les tests effectués sur des échantillons d’aliments dans tous les pays de l’UE en 2016 montrent la présence de chlorpyriphos et de chlorpyriphos-méthyl dans 5,5 % des 76 200 échantillons enregistrés par l’EFSA (Agence européenne de sécurité alimentaire). Si l’on considère uniquement les produits alimentaires non transformés à base de plantes prélevés au hasard dans l’UE, le pourcentage est de 6,2 selon l’ONG Pesticide Action Network Europe. Dans les pays où l’utilisation du chlorpyrifos est interdite, le pesticide atteint néanmoins les consommateurs grâce à la libre circulation des marchandises sur le marché intérieur. En 2013, des chercheurs suédois ont signalé la présence de chlorpyriphos et d’autres pesticides dans l’urine de femmes d’âge moyen, un groupe ayant une consommation élevée de fruits et légumes, alors que le chlorpyrifos n’a jamais été homologué pour un usage agricole en Suède.
Les chercheurs ont suggéré un lien possible entre le chlorpyriphos et le développement du TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité). Une étude récente menée en Californie établit un lien entre l’autisme et les lésions cérébrales précoces chez les enfants exposés au chlorpyriphos avant la naissance et pendant l’enfance. Selon l’étude, le risque de lésions cérébrales d’un enfant augmente si sa mère a été exposée au pesticide en vivant à proximité de champs pulvérisés. L’étude californienne publiée en mars 2019 a déclenché l’interdiction du chlorpyrifos dans le plus grand État agricole des États-Unis. Cinq autres États américains, Hawaï, l’Oregon, New York, le Connecticut et le New Jersey ont annoncé ou décidé des interdictions similaires. Au niveau fédéral, l’interdiction du chlorpyrifos est bloquée par l’administration Trump depuis 2017.
Le chlorpyrifos est autorisé au niveau de l’Union européenne depuis 2006, tandis que les décisions d’autoriser des produits contenant la substance active et leur utilisation sont du ressort des États membres. Huit États membres ont interdit ou n’ont jamais autorisé l’utilisation des produits à base de chlorpyrifos : Danemark, Finlande, Allemagne, Irlande, Lettonie, Lituanie, Slovénie, Suède et Finlande. Le Royaume-Uni a interdit l’utilisation du chlorpyrifos, à une exception près, en 2016. Le chlorpyrios n’est pas autorisé en Norvège, ni en Islande. Le gouvernement suisse a décidé de retirer les autorisations pour 12 chlorpyrifos et chlorpyrifos-méthyl produits le 12 juin, selon le journal Tagblatt.
Partenaire d’un pool européen de journalistes qui ont conduit des investigations sur le chlorpyrifos et son processus d’autorisation dans l’Union européenne, Le Monde révèle que l’EFSA, l’Agence européenne de sécurité alimentaire, a délivré l’autorisation sur la foi d’une seule étude « menée en 1998, financée par Dow, truffée d’anomalies ». Ainsi, poursuit le quotidien français, « depuis le début des années 2000, l’évaluation de la toxicité du chlorpyrifos sur le développement du cerveau des enfants par l’Europe se serait appuyée sur une seule et unique étude confidentielle aux conclusions erronées. Si grossièrement erronées que l’agence américaine EPA l’avait aussitôt consigné dans son rapport en caractères gras ». (ce qui n’a pas empêché l’administration Trump et son ministre de l’environnement Scott Pruit de torpiller les travaux de l’EPA dans le but de renouveler l’autorisation d’utilisation du produit aux Etats-Unis, bien que plusieurs Etats dont la Californie l’aient d’ores et déjà interdit).
L’Union européenne doit décider avant la fin 2019 de prolonger ou pas l’utilisation du chlorpyrifos en Europe. Elle le fera sur la base du rapport de l’EFSA, l’agence sanitaire très critiquée pour sa gestion du dossier du glyphosate, et désormais plus encore pour sa cécité sur le dossier du chlorpyrifos.
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