« Democracy dies in darkness »

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Le décret publié la semaine dernière au Journal officiel n’a aucune chance de faire l’ouverture du journal de 20 heures, ni le buzz chez Hanouna. C’est de la matière juridique bien technique, bien opaque pour le commun des justiciables, mais dont les effets contribuent à saper quelques principes républicains que l’on pouvait croire intangibles.

Que dit ce décret ? Entre autres, que « Le tribunal administratif de Paris est compétent en premier et dernier ressort pour connaître des litiges relatifs aux projets liés » aux ouvrages hydrauliques agricoles. Traduit en français de tous les jours, ça signifie que pour contester la construction d’une méga-bassine dans les Deux-Sèvres ou dans le Puy-de-Dôme, ce n’est plus devant les tribunaux de Poitiers ou de Clermont-Ferrand qu’il faudra introduire un recours, mais uniquement devant celui de Paris. Et que la décision que rendra ce dernier ne sera pas susceptible d’appel.

En une seule phrase, voilà les citoyens privés à la fois de l’accès facile à un juge, et du bénéfice d’un double degré de juridiction. Éloigner le juge du justiciable, en voilà une riche idée ! Et encore : dans la première version du projet de décret, c’est le tribunal de Strasbourg qui était désigné. La quasi-totalité des méga et giga-bassines étant situés dans le sud-ouest, la juridiction alsacienne était évidemment la plus qualifiée. Sinon, il y avait aussi le tribunal de Pointe-à-Pitre…

Mais ce n’est pas tout : ce même décret prévoit que les délais de recours contre une décision administrative concernant ces ouvrages sont réduits de moitié. Et quelques autres embûches et chausse-trappes procédurales destinées à compliquer la tâche des opposants, telles que des délais raccourcis pour introduire le recours ou pour présenter des arguments juridiques.

Après la répression policière, après les violences physiques exercées par les forces « de l’ordre », après les mutilations, après les équipes de secours empêchées de se rendre auprès des blessés, c’est maintenant à une répression juridique, plus sournoise, plus obscure, que recourent les pouvoirs publics pour complaire au complexe agro-industriel et aux inconditionnels d’une agriculture que même l’ONU juge déconnectée des enjeux de notre temps.

« Democracy dies in darkness » : c’est le slogan du quotidien américain le Washington Post. La démocratie meurt dans l’obscurité. Ce décret obscur en est une illustration… très claire !