La Justice est lente, chacun le sait. C’est parfois une bonne chose : pour juger sereinement, elle a besoin de prendre son temps. Pire qu’une Justice trop lente, il n’y a guère qu’une Justice expéditive.
Mais la lenteur n’est pas toujours gage de sérénité : quiconque a enduré les délais infernaux (qui se chiffrent souvent en années) nécessaires pour obtenir une décision même simple sait que la lenteur de notre Justice est surtout le fait de son délabrement, et de l’abandon dans lequel les gouvernements successifs l’ont laissée. La France lui consacre 77,20 € par habitant et par an, contre 136,10 € pour l’Allemagne et 100,6 € pour l’Italie. Souvent au bord du burn-out, magistrats et greffiers écopent à la petite cuillère la marée de dossiers qui les submerge.
Dans certains cas toutefois, la lenteur de la Justice ne doit rien à la nécessaire sérénité ni au manque de moyens. L’ahurissante décision rendue lundi par le Tribunal administratif de Toulouse dans le dossier de la consternante autoroute A 69 en témoigne. Rappelons le contexte : en dépit d’oppositions multiples dans le territoire et au-delà, dont celle de 1500 scientifiques parmi les plus éminents, en dépit de preuves de corruption et d’abus de pouvoirs largement documentés par la presse, en dépit de doutes très sérieux sur la légalité de ses décisions, l’État déblaie le terrain à la société ATOSCA pour la construction à marche forcée de cette liaison Castres-Toulouse, née d’un caprice du groupe pharmaceutique Fabre, au prix d’une répression féroce et violente de toutes les oppositions.
Le 25 novembre, la rapporteure publique du Tribunal administratif, au terme d’une analyse juridique implacable, a conclu à l’illégalité des autorisations environnementales délivrées par la préfecture, et en conséquence à l’arrêt du chantier. Rappelons qu’au Tribunal administratif, le ou la rapporteur-e publique est un-e magistrat-e indépendante, membre du tribunal, chargée de proposer à la formation de jugement la solution juridique adéquate au problème posé. Dans 90 % des cas, les juges suivent l’avis de leur rapporteur public.
Mais pas cette fois. A la consternation des requérants, le tribunal a décidé… de ne rien décider. Sortant (après l’audience !) un magnifique lapin de son chapeau, l’État s’est engagé à baisser de 33 % le prix des péages futurs. Oh, le joli lapin : les juges se sont empressés de se saisir de cet « engagement » ministériel dénué de toute portée juridique (surtout émanant d’un gouvernement renversé) pour « rouvrir l’instruction ». C’est-à-dire pour reprendre intégralement la procédure. Or aucun des arguments de la rapporteure ne portait sur le prix des péages !
Et pendant que les juges reprennent le dossier à zéro ou presque, les pelleteuses d’ATOSCA poursuivent leur travail de destruction massive. Nul besoin d’avoir mauvais esprit pour penser que c’était bien là l’objectif des magistrats.
Parfois, la lenteur volontaire de la Justice porte un nom : un déni de justice.