« Ah qu’il est beau le débit de lait. Ah qu’il est laid le débit de l’eau… ». Depuis ce funeste 26 septembre où le géant laitier Lactalis a annoncé sa décision de réduire de 450 millions de litres annuels sa collecte de lait en France d’ici 2030, la ritournelle de Charles Trénet ne fait plus sourire chez les éleveurs bovins. Ulcérées, leurs organisations professionnelles hurlent que « la souveraineté alimentaire de la France » est gravement mise en péril.
Souveraineté alimentaire ? La baisse annoncée par Lactalis représente 9 % du volume total en 5 ans. Or selon France AgriMer, la balance commerciale des produits laitiers français est excédentaire de 3,5 milliards d’euros, dont + 3,25 milliards avec les pays tiers et + 8,2 millions avec l’Union européenne. La France est le 1er exportateur européen de lactosérum vers les pays tiers (avec 21,4 % des volumes), de poudre de lait écrémé (19,0%), le 2e exportateur de poudres infantiles (21,4 %), le 3e exportateur de beurre (15,5 %), et le 4e exportateur de fromages (13,2 %)*. En clair, notre lait subventionné par la Politique agricole commune inonde les pays tiers et empêche les éleveurs de ces pays d’accéder au marché.
On peut en exporter un peu moins, notre souveraineté alimentaire n’en sera guère affectée… et celle des pays du sud pourrait s’en porter mieux.
Au passage, les éleveurs français expérimentent les limites du modèle économique dans lequel ils se sont embourbés : il n’est jamais très sain de confier sa survie économique à un seul acheteur, peu réputé pour sa philanthropie…
Les élus des régions concernés n’ont pas de mots assez durs pour fustiger Lactalis, à qui ils déroulent pourtant le tapis rouge depuis des décennies. La présidente de la Région Pays de la Loire, Christelle Morançais, annonce que la mobilisation de la région sera totale pour « préserver les capacités de production et défendre l’outil industriel ».
« L’outil industriel » ? Et moi qui croyais que le lait était produit par des vaches, des êtres de chair et de sang qui se délectent d’une bonne herbe grasse, la ruminent paisiblement et regardent passer les trains… On aurait abusé de ma candeur ? La Blanchette et la Marguerite ne seraient que des pièces d’un « outil industriel » ?
« S’il est un débit beau c’est bien le beau débit de lait » mais, pour paraphraser le Fou chantant, « l’on maudit le lent débit des longs discours bidons du débit de débilités du lobby agro-industriel »…
*Chiffres de 2020.