Ce n’est pas tous les jours que des associations naturalistes saisissent la justice… pour s’opposer à la réintroduction d’un animal sauvage dans son milieu naturel. C’est pourtant ce qui vient de se produire dans les Vosges, où cinq associations naturalistes ont demandé au tribunal de Nancy d’interdire au Parc naturel régional (PNR) des Ballons des Vosges de relâcher quarante grands tétras capturés en Norvège.
Espèce emblématique du massif des Vosges, le coq de bruyère (c’est le sobriquet familier de l’oiseau en question) en a quasiment disparu… notamment à cause de l’action du PNR, qui privilégie systématiquement le développement touristique du territoire au détriment de la préservation de la biodiversité. Or en dépit de sa taille imposante (un coq en pleine santé peut peser jusqu’à quatre kilos), ce gros gallinacé est un petit être fragile, qui a besoin de beaucoup de quiétude notamment l’hiver : le moindre dérangement peut lui être fatal. En outre, la destruction et la fragmentation des habitats forestiers, la présence trop importante d’ongulés et de sangliers (il faut bien que les chasseurs s’occupent…), la cueillette sauvage de myrtilles (qui prive les coqs de leur pitance), le dérèglement climatique qui réduit l’enneigement, la perte de diversité génétique, les collisions avec des câbles de remontées de ski, des clôtures ou des lignes à haute tension, on fait du territoire vosgien un espace parfaitement inhospitalier pour le grand tétra. D’où sa disparition.
Pourquoi, dans ces conditions, s’obstiner à déporter des oiseaux scandinaves pour les y relâcher ? Pourquoi prétendre traiter l’effet en aggravant les causes ? Le PNR n’entend en rien renoncer à cajoler l’industrie touristique, ni lui imposer la moindre contrainte en limitant l’accès au massif. La fermeture de la bien-nommée route « des crêtes », qui permettrait de laisser un peu de répit aux volatiles, a été sèchement écartée par le président du Parc.
La justice a rejeté la requête des opposants : le tribunal administratif est juge de la légalité, pas de la stupidité. Les coqs scandinaves déportés dans l’enfer vosgien ne vont toutefois pas mourir pour rien : ils auront contribué à redorer l’image du PNR, dont l’agrément doit être renouvelé en 2027. C’est tout au moins la mission qui leur est assignée.