Le lion et le crocodile

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Tout absorbé par la mise en scène de son théâtre d’ombres de « consultations » primo-ministérielles, le Méprisant de la République n’a pas trouvé une seconde pour rendre hommage, au nom de la nation, à Henri Leclerc qui s’est éteint samedi. Cet honneur-là, il le réserve aux exilés fiscaux d’extrême-droite, genre Alain Delon. Pour celui que beaucoup considèrent comme le plus grand avocat de ce siècle, qui a suscité d’innombrables vocations, pour l’infatigable militant des droits humains, pour le défenseur de tous les amoureux de justice et de liberté objets de persécutions, pour le président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, à peine l’Élysée s’est-il fendu d’un communiqué de stagiaire dans lequel on apprend que le roitelet « adresse ses condoléances émues à ses proches (…) ».

Peut-être est-ce encore un peu trop ?

Le jour même où Henri Leclerc nous quittait, une poignée de ces militants qu’il a inlassablement défendus devant toutes les juridictions étaient victimes de violences policières sur le funeste chantier de l’autoroute A 69, entre Tarbes et Toulouse. Au milieu de la nuit, les argousins les ont aspergés de gaz lacrymogènes,            alors que des nervis incendiaient, pour la deuxième fois, le terrain d’une famille qui refuse de laisser la place aux engins de chantier. En quelques heures, toujours en pleine nuit, des dizaines d’arbres ont été abattus alors même que les recours juridiques contre ces exactions ne sont pas purgés.

Question qu’Henri Leclerc n’aurait pas manquer de poser : un ministre de l’Intérieur démissionnaire, échappant de ce fait à tout contrôle par le Parlement, peut-il ordonner une telle répression qu’aucune urgence ne légitime sans faire basculer notre régime dans autre chose que la démocratie ? S’agit-il vraiment là d’ « affaires courantes » ?

Autre question de même nature : un ministre de l’Écologie démissionnaire, échappant lui aussi à tout contrôle démocratique, peut-il sans verser dans l’arbitraire annuler d’un trait de plume des décisions budgétaires adoptées par la représentation populaire ? C’est ce que vient de faire M. Béchu en amputant de 1,5 milliards d’euros le fonds destiné à accélérer la transition écologique dans les territoires.

Écoutons, une dernière fois, rugir Henri Leclerc : « Ils sont toujours là, nos vieux adversaires. Nous les connaissons bien. Ils s’appellent l’arbitraire qui menace les libertés, l’intolérance qui détruit la fraternité (…) Et devant nous, dressés, tous les pouvoirs dont on abuse. »

Le vieux lion se passe fort bien des larmes du crocodile élyséen, finalement.