La lecture du Chasseur français ne déçoit jamais. Dans la dernière livraison de sa Lettre hebdomadaire, l’organe officiel des viandards publie un compte-rendu de l’Assemblée générale des chasseurs du Lot-et-Garonne. L’article est précédé d’une photo tout à fait étonnante. On y voit une tribune aussi rieuse que celle d’un congrès du parti communiste de l’Union soviétique de la grande époque. Sept hommes, une femme (renseignements pris, la malheureuse est la conseillère départementale de corvée de représentation ce week-end-là). Au-dessus, sur une gigantesque banderole, on peut lire : « Que l’on nous laisse chasser et que l’on cesse de nous emmerder, NOUS QUI JUSQU’ICI N’EMMERDIONS PERSONNE ». La menace explicite contenue dans cet imparfait n’aura échappé à personne.
Mais qui donc se permet ainsi d’« emmerder » les paisibles chasseurs lot-et-garonnais ? « On ne veut pas que dans 20 ans il faille ouvrir un musée pour expliquer ce qu’était la chasse à la glu, à la matole, au filet, que les palombières ne soient plus qu’un souvenir », explique dans l’article le président de la Fédération de chasse. Ces méthodes « traditionnelles » de chasse, qui présentent l’inconvénient de détruire massivement des espèces d’oiseaux protégées, ont été interdites par un arrêt du Conseil d’État du 23 novembre dernier, en application de la directive européenne « Oiseaux ». OK, les « emmerdeurs » sont donc la plus haute juridiction administrative française et les institutions européennes. Pas moins.
En outre, les chasseurs refusent d’appliquer les 14 mesures contenues dans le « Plan sécurité à la chasse » présenté en janvier par la secrétaire d’État Bérangère Couillard. Voilà donc une autre « emmerdeuse » débusquée, et avec elle tout le gouvernement de la République.
Retour à la photo, et zoom sur la brochette de mâles : sur le chevalet posé devant l’un des spécimens, on peut lire « Mr le Préfet ». Ainsi, le représentant de l’État dans le département s’affiche, à l’aise dans ses mocassins, sous une banderole qui insulte et menace la Justice, le gouvernement, et l’Union européenne ! Imagine-t-on le préfet de Corse posant sous un slogan du genre « I Fransesi fora » ? La préfète des Deux-Sèvres sous une affiche « Non au méga-bassines, Désobéissance civile » ?
S’il n’est pas choquant qu’un préfet débatte avec les chasseurs de son département qui sont, que cela plaise ou non, des acteurs essentiels sur le territoire, il est sidérant qu’il n’ait pas exigé, avant de prendre place à la tribune, le retrait de cette banderole factieuse. Adoptée en 2021, la Loi confortant les principes de la République, qui vise à réprimer les séparatismes, a pour premier objectif d’« entraver toutes les initiatives contraires aux fondements de notre République ». M. le Préfet ne l’a peut-être pas lue ?
On a hâte de savoir ce qu’il adviendra de ce préfet en voie de radicalisation cynégétique. Fera-t-il l’objet d’une suspension ? D’un blâme ? D’une mutation ? D’une reconduite à la frontière du département ? Sera-t-il fiché S ?
Ou bien faut-il se résoudre à ce qu’une maman qui accompagne une sortie scolaire avec un foulard sur ses cheveux soit considérée comme une grave menace pour la République, tandis qu’une horde séparatiste qui insulte et menace cette République est adoubée par son représentant ?