Carte postale arlésienne – En direct du festival Agir pour le Vivant 2023 (2/5)-
Et voilà : on n’aurait pas dû venir !
On est arrivé avec, sinon des certitudes, du moins quelques convictions : l’anthropocentrisme c’est moche, « la nature » est un très bel endroit mais l’invention du mot « nature » -dont des tas de langues se dispensent très bien- nous a coupés des autres espèces, tout ça…
En mois de 24 heures, voilà ces quelques balises explosées, ventilées, dispersées façon puzzle. L’anthropologue Tim Ingold réhabilite l’anthropocentrisme : en gros, comme pour le cholestérol, il y a le bon et le mauvais anthropocentrisme. Le mauvais, c’est celui qui place l’humain au-dessus des autres espèces, au-dessus du vivant. Le bon, c’est celui qui le place au centre. Celui qui constate que l’humain est exceptionnel, et n’en conclut pas qu’il doit être dominant. « Nature », poursuit Ingold, vient de « naître » : quand il écrit De natura rerum, Lucrèce entend bien expliquer comment naissent les choses. Et la philosophe Emma Bigé précise : la terminaison « ture » désigne en latin un participe futur (on n’a pas ça en français) : la nature c’est ce qui doit naître, la créature, ce qui reste à être créé, la posture la manière dont on va se placer, etc.
Tout cela est bien joli, insiste le paysagiste Gilles Clément, mais il n’en demeure pas moins qu’après avoir créé « la nature » (le mot en tout cas), l’humain occidental bien de chez nous s’est donné l’illusion qu’il peut la maîtriser, que la taille de son cerveau le dispense de développer ou de conserver les compétences qu’il partageait initialement avec d’autres espèces. Et cette illusion de la maîtrise conduit tout droit au mauvais anthropocentrisme, celui qui… (voir plus haut). Conclusion consensuelle : l’humain doit savoir se taire, s’effacer pour laisser advenir la « nature » pas encore née. Et laisser s’exprimer celle avec laquelle nous cohabitons.
Travaux pratiques dans la soirée : l’océanographe François Sarano se fait le porte-parole d’Eliott le cachalot, le forestier Laurent Tison celui des chauves-souris de la forêt de Rambouillet, l’éditeur Stéphane Durand prête sa voix à… un galet de la Durance, qui raconte son histoire plurimillénaire. Quand on l’écoute, et qu’elle est dotée de bons interprètes, c’est fou ce que « la nature » est prolixe !
La politologue Fatima Ouassak est venue, elle, raconter une tout autre histoire : celle de Nahel, 17 ans, froidement abattu par un flic d’une balle dans le thorax.
« La nature » n’a pas que de belles histoires à raconter.
Au menu aujourd’hui : Faire corps.
A demain.