Balance ton tofu !

737
⏱ Lecture 2 mn.

Question métaphysique : pourrai-je encore, dans quelques semaines, assumer mes (trop nombreux) « travers » sans être balancé illico au motif que, officiellement du moins, je ne suis pas un porc ?

La réponse est non : un décret en préparation au ministère de l’Agriculture prévoit de bannir de notre vocabulaire quotidien « la terminologie spécifique de la boucherie, de la charcuterie ou de la poissonnerie ». Aux termes de ce décret, des termes tels que « paleron », « tendron », « hampe », « bacon », « boudin », « lardon », « nugget », « saucisse »…seront réservés à l’usage exclusif des bouchers.  Et gare à quiconque se permettra de tailler une « bavette » en pleine rue : il sera promis à l’équarrissage sans autre forme de procès.

Naguère encore, un machin aplati et circulaire pouvait être impunément qualifié de « steak de soja » ou d’« escalope de tofu » sans que personne (hormis les industriels de la bidoche) s’en offusque, ni que quiconque ait confondu ça avec une tranche de charolais ou d’Aubrac. Qualifié de « knack » végétal, un truc longiforme, caoutchouteux et insipide n’a jamais abusé personne, ni été confondu avec une honnête saucisse de Strasbourg.

L’affaire est néanmoins d’un importance telle qu’elle mobilise, depuis plusieurs années, une « brochette » (interdit) de fins juristes. En octobre 2020, flairant le ridicule, le Parlement européen avait largement rejeté un texte visant à interdire ces appellations. Mais les industriels français de la bidoche ont obtenu du gouvernement en juin 2022 un premier décret instituant cette inédite police du vocabulaire carnivore. Décret suspendu un mois plus tard par le Conseil d’État, qui jugeait sa légalité douteuse, et qui renvoyait l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne. Vexé de cette « boulette » (interdit) le gouvernement vient donc d’adopter derechef un nouveau projet de décret, sans attendre le verdict judiciaire. La Justice et ses rigueurs, c’est bon pour les écoterroristes, pas pour les industriels sérieux ni pour les ministres serviles.

Ce hold-up sémantique commis à visage découvert par la filière carnivore éclipse une urgence, bien réelle celle-là : pour notre santé individuelle, pour la préservation du vivant et de la biodiversité, il est nécessaire de réduire sans délai notre consommation de viande.

Le reste n’est que de la daube !