Panique chez Totalénergies. A l’approche de l’assemblée générale, un groupe d’investisseurs a présenté une résolution qui affole le conseil d’administration, au point que celui-ci se mobilise par voies de communiqués de presse pour convaincre ses actionnaires de la rejeter.
Que contient ce texte assassin ? Il demande à la compagnie de se fixer des objectifs de réduction de ses émissions de CO2 « du Scope 3 ». Kézaco, le Scope 3 ? Ce sont, entre autres, les émissions liées à l’essence que consomme votre voiture, au kérosène des avions des compagnies aériennes, etc. Les actionnaires insistent sur le caractère purement consultatif de leur résolution, qui a pour simple objet d’encourager TotalEnergies à “aligner ses émissions de scope 3 sur l’Accord de Paris”. Son adoption ne contraindrait aucunement l’entreprise à s’y plier. Mais même ça, c’est plus que ce que M. Pouyané (le PDG du groupe) et ses comparses ne peuvent endurer.
Que répond la direction du groupe dans sa campagne pour le rejet de sa résolution ? D’abord que l’entreprise n’est pas responsable des émissions des clients à qui elle fournit son énergie fossile. C’est vrai ça : le dealer qui fournit l’héroïne à un junky est-il responsable du fait que son client choisit de s’injecter la drogue, et des conséquences de son geste ? Le code pénal retient la complicité par fourniture de moyens de celui qui fournit à un voyou l’arme de son crime. Mais cette notion est inconnue du monde de la finance…
L’autre argument retenu par Totalénergies pour combattre la résolution est que « si elle était adoptée, elle introduirait une certaine confusion dans la gouvernance de l’entreprise car elle conduirait le Conseil d’administration à prendre en considération une stratégie différente de celle qu’il a adoptée ». Où va-t-on, ma bonne dame, si les actionnaires se permettent de critiquer la stratégie des dirigeants ?
Scénario quasi identique chez un autre énergéticien, Engie, où l’assemblée générale qui s’est tenue fin avril a rejeté une résolution proposée, là encore, par un groupe d’actionnaires. Ceux-là proposaient que la société puisse organiser, tous les trois ans, un vote sur sa stratégie climat et publier tous les ans un rapport sur l’état d’avancement de cette stratégie. Comme chez Total, la direction de l’entreprise recommandait le rejet de la résolution. Et en effet, elle a été rejetée à 75 %. Ce qui signifie que près de 25 % des affreux capitalistes actionnaires d’Engie l’ont approuvée. Les chiffres prennent un autre sens quand on sait que l’État français, qui détient 33 % des droits de vote, s’est prononcé contre la résolution. Concrètement, la majorité des actionnaires privés soutenaient le texte, qui aurait recueilli 58 % des voix si le gouvernement avait pris une position cohérente avec les objectifs climatiques qu’il affiche…
Soucieux de leurs intérêts à moyen ou long terme, les actionnaires privés souhaitent donner à leur investissement une inflexion conforme à la réalité du XXIème siècle. Le gouvernement, théoriquement en charge de l’intérêt général, se cramponne à une vision prédatrice et court-termiste de l’économie. Le voilà donc plus capitaliste que le capital lui-même !