« Vous montrerez que l’innovation peut aider à repousser les limites écologiques de la croissance ». Rédigé par quelques inspecteurs généraux blanquerolâtres (ah, Blanquer… Il nous manque déjà !) directement branchés sur le MEDEF, ce sujet proposé aux candidats bacheliers en Sciences économiques et sociales (SES) a provoqué l’indignation de nombre d’enseignants et d’économistes. C’est que dans cette courte phrase, chaque mot est à déguster lentement…
« Vous montrerez que… ». Voilà qui ne laisse guère de place au débat, à la réflexion, à la critique étayée. A la pensée, en un mot. Il est vrai que penser, c’est déjà désobéir. Dans cette injonction se cache le retour de TINA, la star de l’Angleterre thatchérienne : There Is No Alternative. Croyant plaider pour sa défense, le doyen de l’inspection générale passe aux aveux dans Le Point : les SES version Blanquer visent « précisément [à] mettre à distance le débat idéologique pour construire des connaissances théoriques et pouvoir revenir dans le débat de façon raisonnée, plus armé intellectuellement ». La doxa libérale relèverait donc des « connaissances théoriques », sa critique du « débat idéologique ». CQFD…
« Les limites écologiques de la croissance » : sans blague… Il existerait donc des limites à la croissance ? Les inspecteurs généraux auraient-ils enfin été informés que « celui qui pense qu’on peut conduire une croissance infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste », comme l’énonçait l’Américain (et économiste…) Kenneth Boulding (1910-1993) ? Rassurons-nous très vite : les auteurs de ce sujet d’anthologie ne sont pas fous, juste économistes : s’ils concèdent du bout des lèvres l’existence de limites, c’est pour affirmer comme une vérité révélée (« vous montrerez… ») que ces limites peuvent être « repoussées ». Donc, au fond, qu’elles n’existent pas vraiment.
Reste « l’innovation » dont la seule fonction d’après les adorateurs de TINA serait de servir la croissance. Comme si l’innovation devait par nature être spectaculaire, high-tech et à forte intensité capitalistique. Ils n’innovent pas, les bricoleurs bénévoles des repair-cafés qui font la nique à l’obsolescence programmée ? Ils n’innovent pas, les fondateurs de Terre de liens, qui collectent l’épargne pour financer l’installation de jeunes agriculteurs bio ? Le non-dit de ce sujet, c’est la volonté de parachever la caricature de tous ces objecteurs de croissance en rétrogrades, en Amishes, en tenants du retour à la bougie.
Voilà une copie qui aurait valu, à coup sûr, un zéro pointé !