La caricature

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Qui ne connaît pas le « beauf » de Cabu ? La notoriété de ce personnage de caricature est telle qu’il est devenu un nom commun. Tout le monde a un beauf dans son entourage. Et, soyons lucides, on est tous le beauf de quelqu’un. Mais dans la vraie vie, le « beauf » n’existe pas vraiment. Personne au monde ne peut être aussi vulgaire, inculte, borné, macho, égoïste, violent, misogyne, réac, méprisant et bouffi de certitudes.

C’est tout au moins ce que pense quiconque n’a pas croisé la route de Willy Schraen. A côté de ce président de la Fédération nationale des chasseurs, le beauf de Cabu fait figure de bonze pétri de douceur, de compassion, et d’une infinie sagesse.

La dernière éructation de M. Schraen date de la semaine dernière. Elle fait suite au rapport d’une mission sénatoriale qui contient une proposition proprement hallucinante : aligner le taux d’alcoolémie autorisé pour la pratique de la chasse sur les règles en vigueur en matière de code de la route. Considérant que pour se rendre sur leurs terrains de chasse les pratiquants utilisent le plus souvent leur véhicule, voilà une disposition qui ne devrait pas les pénaliser outre-mesure. Ce n’est pas l’avis de M. Schraen : « de quel droit réserver ça aux chasseurs, un mec bourré sur un vélo c’est dangereux aussi » a-t-il déclaré à l’Agence France Presse. Tout est dans le « aussi » : tel un tartarin aviné, M. Schraen se tire une balle dans le pied.

Pourtant le rapport sénatorial devrait lui convenir. Aucune des demandes énoncées par les associations qui avaient saisi le Sénat à la suite d’une pétition n’a été retenue. Le mercredi et le dimanche sans chasse (mesure plébiscitée par 80 % des Français) ? Écartés. Un réel contrôle des armes de chasse en circulation dans le pays ? Refusé. Des sanctions plus dissuasives à l’encontre des chasseurs ayant provoqué des incidents, accidents corporels ou accidents mortels ? Oubliées. Cela n’empêche pas M. Schraen de considérer que « ce rapport est un parfait manuel pour nos opposants qui font de leurs propositions d’interdiction des activités rurales un fonds de commerce électoral ». 

On ne voit pas très bien ce que signifie « interdiction des activités rurales ». Personne ne suggère d’interdire aux coqs de chanter, aux vaches de produire des bouses, ni aux agriculteurs de nourrir les humains. Mais pour M. Schraen, un argument n’a pas besoin d’être crédible, il lui suffit d’être énorme.

C’est dommage. Parmi les chasseurs, si quelques-uns épousent les délires trumpoïdes de leur président, beaucoup s’inquiètent de l’effondrement du vivant et des écosystèmes, beaucoup contemplent, atterrés, la disparition des espaces naturels, les impacts des pesticides sur les espèces sauvages, bref partagent le constat des naturalistes. Le nombre de chasseurs a diminué de 30 % en vingt ans, mais ils sont encore à peu près un million. Les adhérents à la plus importante association naturaliste, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) sont tout au plus 60 000. Leur alliance permettrait aux naturalistes de démultiplier peur présence sur le terrain, et aux chasseurs les moins bornés de gagner une nouvelle légitimité.

Mais comment imaginer une telle convergence avec M. Schraen ? Les chasseurs éclairés méritent mieux, pour les représenter, que la caricature d’une caricature.