Heureusement qu’on n’attend plus, depuis longtemps, que les hirondelles fassent le printemps. Dans le cas contraire, on serait mal…
Que celui qui peut se vanter d’avoir entendu cette année un vol d’hirondelles gazouiller, triduler, ramager ou truisotter (tous ces termes s’appliquent à son chant) lève le doigt. Ce printemps, plus encore que le précédent et moins sans doute que le suivant, sera un printemps silencieux.
En trente ans, d’après les comptages les moins pessimistes, la population d’hirondelles qui reviennent chaque année d’Afrique a chuté de 60 %. La société espagnole d’ornithologie évalue à 500 000 le nombre d’individus perdus chaque année.
A cela plusieurs raisons : où pourrait-elle nicher, l’hirondelle des granges, quand le moindre bâtiment agricole un tant soit peu rustique est transformé en résidence secondaire pour télétravailleurs urbains ? Combles aménagés en chambre pour les gamins ou en bureau design. Accès désormais interdit aux volatiles.
Où abriterait-elle sa couvée, l’hirondelle des cheminées : dans l’hélice de la pompe à chaleur ?
Mais il y a plus grave que cette disparition de ses habitats. Si l’hirondelle nous boude, c’est principalement faute d’insectes à se caler dans le bec. En 2018, une retentissante étude allemande révélait qu’en trente ans (tiens…) la biomasse d’insectes en Europe continentale s’est effondrée de 80 %. En cause : les pesticides (« biocides » serait un terme plus approprié) massivement utilisés dans l’agro-industrie. Il y a quelques jours, deux instituts de recherche français (l’INRAe et l’IFREMER) publiaient une synthèse des connaissances issues de 4000 (oui, quatre mille !) études scientifiques : « les études disponibles publiées ces 20 dernières années permettent d’affirmer de manière robuste que les produits phytopharmaceutiques sont une des causes majeures du déclin de certaines populations », ont-ils conclu.
Printemps silencieux : c’est le titre -tristement prémonitoire- d’un livre publié en 1962 par la biologiste américaine Rachel Carson. Un best-seller. Plus de 2 millions d’exemplaires vendus. Inscrit dans la liste des 25 ouvrages les plus importants de tous les temps par Discover Magazine aux côtés -excusez du peu- de L’Origine des espèces de Darwin ou de La Théorie de la relativité d’Einstein. Carson y annonçait l’extinction des populations d’oiseaux à cause des biocides agricoles (le DDT à son époque, mais on a trouvé pire depuis !).
C’était il y a 60 ans.
Le printemps silencieux, c’est maintenant.
PS – A l’occasion du 60ème anniversaire de Printemps silencieux, les éditions Wildproject en publient une nouvelle édition en français, illustrée et augmentée.