Le patron de Syngenta instrumentalise la guerre en Ukraine

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Le patron de l’agrochimiste Syngenta a dénoncé l’agriculture biologiques et appelé à opter pour une agriculture à plus forts rendements face au risque de pénuries alimentaires avec la guerre en Ukraine, ravivant la polémique autour de l’agriculture durable et des pesticides en Suisse.

Dans un entretien publié dimanche dans le quotidien suisse Neue Zürcher Zeitung, Erik Fyrwald, son directeur général, a dressé une longue liste des écueils, selon lui, de l’agriculture biologique, citant notamment ses rendements plus faibles alors même que l’invasion de l’Ukraine, considérée comme le grenier à blé de l’Europe, soulève de vives inquiétudes pour l’approvisionnement alimentaire.   « Les rendements de l’agriculture biologique peuvent être jusqu’à 50% inférieurs selon les produits », a mis en avant le patron de ce géant des produits agricoles qui vend des engrais et semences.   Ces propos ont suscité de vives réactions chez les partisans de l’agriculture biologique en Suisse.   Dans un tweet, le député membre des Verts Kilian Baumann, lui-même agriculteur bio, a qualifié ces arguments de « grotesques« , estimant que Syngenta ne fait que « défendre son chiffre d’affaires » parce ce que « nous, les paysans utilisons toujours moins de pesticides ».  Basé à Bâle, ce géant des produits phytosanitaires avait été racheté en 2017 par le chinois ChemChina après avoir fermement repoussé plusieurs offres de son concurrent américain Monsanto.   Parmi les écueils de l’agriculture biologique, ce patron américain, aux commandes de Syngenta depuis 2016, a également affirmé qu’elle nécessite de plus grandes surfaces cultivables. De surcroît, les champs doivent généralement être labourés pour ce type d’agriculture, ce qui « augmente les émissions de CO2 », a-t-il affirmé dans les colonnes du journal zurichois.   « La conséquence indirecte est que des gens souffrent de la faim en Afrique pendant que nous mangeons toujours davantage de produits biologiques », a-t-il déclaré, alors que le danger « d’une crise alimentaire mondiale » est « grand ».  « Avant même la guerre, les prix du maïs, du soja et des céréales avaient augmenté en raison du Covid-19 et des intempéries extrêmes », a-t-il argumenté, tout en soulignant que 400 millions de personnes dans le monde dépendent du blé ukrainien.   Dans ce contexte, il plaide en faveur d’une agriculture dite « régénératrice« , à mi-chemin entre l’agriculture conventionnelle et biologique. Elle reprend les principes de rotation des cultures utilisés dans l’agriculture biologique tout en associant l’utilisation « ciblée » de pesticides, a-t-il défendu.

Préserver les sols et les pollinisateurs

Baumann, le député vert également président de l’Association des petits paysans, a davantage mis en cause l’utilisation des terres cultivables, avec « la faim de viande », affirmant que 43% des terres arables en Suisse servent à la production de fourrages.   Selon cette association, cette crise devrait au contraire favoriser l’agriculture biologique. « Elle est clairement plus indépendante des engrais importés et des pesticides de synthèse. L’agriculture biologique suit beaucoup plus une logique de circuit fermé et possède donc une plus grande résistance aux crises », a-t-elle souligné dans un courriel à l’AFP.   Selon Carla Hoinkes, responsable de l’agriculture et de l’alimentation chez Public Eye, une ONG suisse très critique des pesticides et de Syngenta, « l’agro-industrie instrumentalise cette crise pour ses propres intérêts »,a-t-elle déclaré à l’AFP.  « Cette crise alimentaire est un problème sérieux », lié selon elle « au système de production alimentaire » « très dépendant des fertilisants » et « de la concentration des cultures » dans un nombre limités de pays.  Selon elle, cette crise doit au contraire être l’occasion de repenser la production agricole, y compris de la production de biocarburants et du gaspillage alimentaire.  « Il va falloir réfléchir à comment on transforme nos systèmes alimentaires pour être plus indépendants », estime-t-elle, jugeant qu’il va falloir davantage ancrer la production au niveau local, ce qui suppose aussi de « préserver les sols, la biodiversité et les pollinisateurs ».   L’agriculture biologique est un sujet très sensible en Suisse, avec d’un côté cet important fournisseur de produits phytosanitaires et de l’autre de farouches opposants aux pesticides.  L’an passé, deux votes d’initiative populaire, l’un sur l’interdiction des pesticides de synthèse, l’autre sur l’interdiction des subventions aux exploitations utilisant des pesticides mais aussi des antibiotiques pour préserver la qualité de l’eau potable, avaient été soumis au peuple après avoir récolté chacun plus de 100.000 signatures mais avait finalement été rejetés.