Le tofu-terrorisme ne passera pas !

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Vous aimez Gérald Darmanin ? Vous devriez adorer Suella Braverman.

Le 18 octobre, après que des militants du groupe d’action pour le climat Just stop oil ont bloqué pendant quelques heures une autoroute britannique, Mme Braverman, alors ministre de l’intérieur du gouvernement de Liz Truss (ça paraît déjà si loin…) a déclaré le plus sérieusement du monde : « J’ai bien peur que ce soit le parti travailliste, les libéraux-démocrates, la coalition du chaos, les lecteurs du Guardian (en Grande-Bretagne, le Guardian est l’équivalent du Monde), les mangeurs de tofu, les wokerati (les tenants de la culture « woke »)– j’ose même dire la coalition anti-croissance – que nous devons remercier pour les perturbations que nous constatons aujourd’hui sur nos routes ».

Évidemment, ça commence à faire du monde. Et surtout, beaucoup de gens qui ont dû être surpris de se retrouver enrôlés dans le même opprobre. S’ils se mettent tous à bloquer les routes, la circulation va devenir compliquée au pays du Brexit.

Emportée par le naufrage de Mme Truss, Suella Braverman a été reconduite sur-le-champ à son poste par le nouveau premier ministre Rishi Sunak. Avec une feuille de route claire : faire adopter par le parlement une nouvelle loi sur l’ordre public, qui serait rendue nécessaire pour lutter contre « une augmentation des tactiques de guérilla criminelles, perturbatrices et autodestructrices, menées par quelques égoïstes au nom de la protestation ».

Le projet de loi en question prévoit notamment que la simple détention d’un antivol de vélo ou d’un tube de superglue pourra être sanctionnée d’une amende illimitée et d’un an de prison ! Détenir une affiche ou une pancarte, interférer avec les infrastructures nationales (notamment de transport), entraver des grands travaux, sera passible des mêmes peines.

Simultanément, M. Sunak a fait savoir qu’il avait mieux à faire que de participer au sommet de l’ONU sur le climat, qui débute ce dimanche au Caire. Avant lui, sa prédécesseure Liz Truss avait dissuadé le roi Charles III de s’y rendre.

D’un côté, ce gouvernement affiche son mépris pour l’urgence climatique, de l’autre il adopte des lois scélérates pour réprimer ceux qui s’en préoccupent.

En France, la rhétorique n’est pas très différente. Alors qu’il n’a pas eu un mot pour condamner la construction illégale du barrage de Caussade (Lot-et-Garonne), et qu’il n’envisage à aucun moment de le déconstruire en dépit des injonctions et des condamnations de la justice, M. Darmanin a osé qualifier d’« écoterrorisme » la manifestation hostile à la privatisation de l’eau par l’agrobusiness dans les Deux-Sèvres. Plus de 1500 gendarmes, des drones et six hélicoptères étaient mobilisés dimanche dernier, alors qu’il ne s’est pas trouvé un garde-champêtre disponible pour dissuader les activistes lot-et-garonnais d’édifier leur ouvrage illicite.

Des deux côtés de la Manche, ce deux poids – deux mesures et ce durcissement de la répression ne peut que creuser la fracture avec une génération paniquée par ce qui l’attend et révoltée par l’inaction cynique des gouvernants. Mme Braverman, comme M. Darmanin, seront comptables des drames que leur attitude annonce.