Requiem pour une orque

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Une orque à l’agonie s’égare dans la Seine, et voilà qu’en tous sens l’on s’émeut. Cellule de crise à la préfecture et à l’Office français de la biodiversité. Un drone des pompiers, trois navires de l’ONG Sea Sheperd sont déployés, une escouade de vétérinaires et d’experts est dépêchée, des enregistrements sonores sont réalisés, qui révèlent « des vocalisations assimilables à des cris de détresse ».

C’est bête, on n’a pas pensé à déployer autant de soins pour les 31 malheureux exilés qui, au même moment, se noyaient au large de la Libye (ils sont plus de 1 200 depuis le début de l’année). Ont-ils, eux aussi, lancé des cris de détresse ?

En 2018, une étude publiée dans la revue Science révélait que la moitié des populations d’orques aurait disparu d’ici 30 ans, principalement à cause des polychlorobiphényles, (PCB), des composés organiques à très longue durée de vie, autrefois utilisés dans les peintures à l’huile et les liquides de refroidissement.

50 % des orques sont en train de disparaître dans une indifférence totale, mais celle-là, nom de Dieu, il fallait à tout prix la sauver. A s’aventurer entre Le Havre et Rouen, elle avait gagné un statut d’orque-fétiche, de mascotte, de doudou collectif. Eut-elle été sauvée, la démographie des orques ne s’en serait pas mieux portée. Mais s’étant géographiquement rapprochée de nous, elle a réduit la distance entre son animalité et notre humanité.

A Villeveyrac, près de Montpellier, ce ne sont pas des orques que Maëlle Kermabon et Lucie Yrles ont ramenées à la vie, mais des hérissons, des rapaces, des écureuils, des choucas par centaines… Au Centre régional de sauvegarde de la faune sauvage, géré par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), elles accueillaient sans distinction bêtes à poil, à plumes ou à carapaces et les requinquaient en vue de les relâcher dans leur milieu. Avec la complicité et la plume malicieuse du journaliste Jean-Baptiste Pouchain (ci-devant rédacteur en chef adjoint d’Infonature.media), elles révèlent leurs histoires dans un bouquin passionnant, drôle de bout en bout, bourré d’infos et de conseils pratiques, qui vient de sortir aux éditions Plume de carotte. Son titre : Histoire(s) d’aider les animaux – Manuel pas bête de cohabitation avec le sauvage.

Chacun de leurs sauvetages réussis est assurément une victoire, mais pour qui ? Pour la biodiversité ? Il en va des hérissons comme des orques : un individu sauvé ne compensera pas le fait que 70 % d’entre eux ont disparu en vingt ans. Mais le soin apporté à chaque animal sauvage nous unit à la chaîne du vivant. En révélant notre « humanimalité », il nous fait grandir en humanité.

Prendre soin du sauvage, c’est prendre soin de nous.