Ricanements

1922
⏱ Lecture 2 mn.

Évidemment, on peut ricaner. C’est même assez tentant…

Dieu, qu’ils sont ridicules et hors du temps, ces bouseux, ces loquedus, ces beaufs en gilet orange fluo qui braillaient samedi par dizaines de milliers pour exiger de pouvoir pratiquer des chasses illégales et cruelles.

Mais si l’on tend un peu l’oreille, derrière les vociférations c’est une autre musique que l’on entend (voir ci-dessous notre article gratuit) : « Dans nos campagnes, le portable ne passe pas, on a plus d’épicerie ni de pharmacie, on est délaissés de partout et maintenant on veut nous enlever nos traditions, notre chasse, transmises par nos anciens… ». Le rapport paraît ténu entre « le portable qui ne passe pas » et la chasse à la matole, mais c’est bien le même sentiment de déclassement, de délaissement, d’abandon qui s’exprime. Une manifestation -une de plus- de ce que Jérôme Fourquet appelle « l’archipel français » : les groupes sociaux s’autonomisent et divergent lentement, sous l’effet de multiples fracturations (sociale, éducative, territoriale, ethnique, culturelle), et développent un entre soi à rebours de l’unité nationale dont on nous rebat les oreilles. Plus que de la matole qui l’encage, c’est du creusement des inégalités de toutes natures que l’alouette est la victime !

Les défenseurs du vivant, qu’ont-ils à gagner à attiser ces antagonismes ? Sur le terrain, il n’est pas rare que des fédérations de chasse et des structures de protection de la nature collaborent et s’entraident, conscientes de leurs intérêts parfois convergents. Au sommet, le monde de la chasse est représenté par des extrémistes incapables du moindre dialogue, mais habiles à se faire craindre ou respecter des politiques. Faut-il s’en satisfaire et les combattre sabre au clair, ou identifier, chez les chasseurs, ceux avec qui il serait possible de nouer des alliances de raison et de circonstances ? L’intransigeance est intellectuellement reposante. Est-elle pour autant payante ?

Si, comme le prône Baptiste Morizot, nous sommes capables de diplomatie envers le loup, par exemple, pourquoi n’en serions-nous pas capables envers le chasseur ? Sans naïveté, sans faiblesse, mais avec le souci de faire le tri entre les ennemis, les vrais, et les adversaires de circonstance. La diplomatie est certes un art difficile, qui exige de se déprendre de quelque prérequis, qui oblige à apprendre la langue de l’autre, à décoder sa pensée, bref à le comprendre. Ce peut être assez fatigant.

Mais surtout, la diplomatie interdit tout ricanement facile. C’est sans doute le plus pénible…