Changement climatique, rejets d’eaux polluées, pêche au marteau piqueur: les forêts marines de l’Adriatique disparaissent, une tendance inquiétante pour des experts albanais qui ont rejoint un programme méditerranéen de repeuplement des fonds par de « bonnes algues ».
Dans la baie de Vlora, dans le centre de l’Albanie, les eaux scintillent au soleil et la mer est belle. Mais sous les flots bleus, c’est le désert. Les scientifiques ont constaté que les forêts d’algues brunes qui constituent en principe un nid de biodiversité, se font plus rares. Faute de données historiques, il est difficile de quantifier le recul des Cystoseira qui servent de garde-manger, de frayères et de nurseries à de nombreuses espèces. Mais les spécialistes s’accordent à dire qu’elle est importante en mer Adriatique comme en mer Ionienne. « Nous avons constaté ces dernières années une forte régression des forêts marines de Cystoseira, les plus affectées par l’augmentation des températures provoquée par le changement climatique », explique à l’AFP Ina Nasto, professeure de biologie à l’Université de Vlora. Egalement en cause, l’urbanisation côtière, le déversement des eaux agricoles ou industrielles, la sédimentation.
Interdite, la pêche à la dynamite ou au marteau-piqueur des dattes de mer provoque aussi de gros dégâts aux fonds marins, ajoute la professeure Denada Sota. Le fruit, pourtant défendu, est servi par de nombreux restaurants du littoral. Résultat, des rochers nus à perte de vue, où les poissons sont rares, peuplés seulement d’oursins qui prolifèrent car leurs prédateurs naturels ont disparu, victimes de la surpêche, comme en témoignent des images tournées par les scientifiques.
Depuis janvier 2019, des biologistes du laboratoire de l’Université de Vlora participent à une expérimentation visant au repeuplement des fonds menée par une dizaine d’instituts de recherche de Méditerranée. Dans le laboratoire de Vlora, les scientifiques favorisent la culture de cellules d’algues fertilisées au fond d’aquariums. Les minuscules plants se fixent sur des pierres qui seront immergées en mer par quatre mètres de fond. « Il faut assurer tout le suivi même au fond de la mer »,déclare Ina Nasto qui plonge régulièrement pour identifier les lieux d’intervention. D’ici quelques semaines, les chercheurs vérifieront si les algues ont pris, une expérience qui doit permettre de mettre au point des protocoles de restauration des forêts d’algues. Depuis quelques années, le littoral albanais, qui s’étend sur plus de 400 kilomètres du nord au sud-ouest, est envahi par des nuisibles, à commencer par la Caulerpa cylindracea, une espèce tropicale qui décime les herbiers de posidonies, autre algue essentielle pour la biodiversité.
Venue d’Australie dans les années 1990, cette algue parfois baptisée « tumeur » de la Méditerranée a déjà « colonisé » toutes les côtes albanaises, dit à l’AFP le professeur Sajmir Beqiraj de l’Université de Tirana. « Comme d’autres espèces invasives, elle possède de grands avantages pour rivaliser avec les espèces indigènes et dégrader la faune et la flore maritimes, réduisant considérablement la biodiversité ».A Kallmet, dans le nord de la mer Adriatique, il suffit de plonger à deux mètres de profondeur pour la trouver « en colonies denses », raconte-t-il, en montrant sous l’eau à l’AFP les fonds gagnés par la Caulerpa. En quelques minutes, sa pochette est à moitié remplie de cette algue vert sombre en forme de grappe de raisin miniature.
Au total, les spécialistes ont recensé en Albanie 40 espèces invasives végétales et animales comme les poissons-lapin venus de mer Rouge qui dévorent les forêts maritimes.
« La perte des habitats, la dégradation des herbiers et des forêts, la surpêche, ont considérablement réduit les stocks de poissons », constate Nexhip Hysolokaj, expert en environnement. « Le denti, la daurade qui utilisent les herbiers de posidonie mais aussi le mérou brun, le gobie et le rouget sont en voie de disparition ».
Ces phénomènes sont communs aux riverains de la Méditerranée et de l’Adriatique et les scientifiques plaident pour une approche commune. « Il faut joindre nos forces, et agir vite pour trouver une solution », poursuit Nexhip Hysolokaj. « C’est comme pour le Covid », sourit le capitaine Baci Dyrmishaj, pêcheur depuis plus de 25 ans à Vlora, déplorant la prolifération des crabes bleus invasifs qui s’attaquent à ses filets et engloutissent ses prises. « Les grands pays se sont mis ensemble pour trouver un vaccin, il faut faire pareil pour la planète car aucune frontière ne sauve ».